Riz OGM doré : autorisé à la consommation aux Philippines

On attendait une autorisation à la culture du riz doré censé lutter contre les déficiences en vitamine A au Bangladesh, c’est finalement les Philippines qui l’ont autorisé le 18 décembre 2019, mais juste à la consommation. Situation paradoxale donc, où en tout cinq pays ont approuvé la consommation d’un produit encore nulle part autorisé à la culture...

Fin 2019, les rédactions des journaux frémissent : le Bangladesh pourrait très prochainement (et enfin ! soulignent certains médias [1]) autoriser la culture du riz doré. Ce riz, génétiquement modifié par transgenèse pour produire du bêta-carotène, précurseur de la vitamine A, est censé lutter contre la cécité engendrée par une déficience de cette vitamine (voir encadré ci-dessous). La première version de ce riz doré avait été mise au point par deux chercheurs en 1999, il y a donc plus de 20 ans [2]. Depuis, soit à cause de réglementations trop exigeantes, d’après ses « inventeurs », soit parce qu’il n’est pas au point, d’après ses détracteurs (dont Greenpeace), ce riz n’a encore jamais été autorisé à la culture.

Riz doré : pourquoi ?

Selon une étude datant déjà de 2008 dans la revue médicale The Lancet [3], les carences en vitamine A peuvent conduire à la cécité et affaiblissent le système immunitaire. Elles seraient responsables de 600 000 morts par année [4], en grande majorité des enfants, dans les pays en voie de développement. Pour lutter contre les différents déficits de micronutriments (Fer, Zinc, vitamines...), certains chercheurs préconisent d’enrichir les aliments avec ces nutriments, soit en les ajoutant a posteriori à de la nourriture, soit, en amont, en produisant des plantes plus riches en micronutriments, avec ou sans génie génétique (c’est ce que certains nomment la « biofortification ») [5]. Autre solution, sans autant de « technologie » : faciliter un régime alimentaire diversifié comportant des aliments riches en bêta-carotène comme les carottes, les abricots, les patates douces, etc.

Autorisation du riz doré : un non au dernier moment

Une demande d’autorisation à la culture du riz doré a été déposée par le BRRI, centre de recherches sur le riz du Bangladesh, le 26 novembre 2017, auprès du Comité technique national des cultures biotechnologiques (NTCCB) du ministère bangladais de l’Agriculture. La demande a ensuite été transférée, le 4 décembre 2017, au Comité national de biosécurité du ministère de l’Environnement, composé de huit personnes, chargé d’analyser les risques sur la santé et l’environnement. Un journal local, le Dhaka Tribune, avait alors annoncé une décision pour le 15 novembre… et des premières récoltes pour 2021. La confiance parmi les promoteurs était là, d’autant plus que ce même comité avait déjà approuvé en 2014 une aubergine transgénique Bt [6] à la culture.

Mais patatras, on apprenait le 1er décembre que le ministère de l’Environnement bangladais avait refusé cette autorisation. Motif : « nous n’avons pas trouvé de consensus, nous n’avons aucune idée des caractéristiques et du comportement de ce riz chez l’homme, dans les sols, dans l’eau et dans l’environnement, nous avons donc renvoyé cette proposition pour davantage de recherches » a déclaré un officiel du ministère de l’environnement au Daily Observer [7].

Inf’OGM a cherché à connaître le détail de ce refus et les prochaines étapes vers cette autorisation, sans succès pour le moment. Dans l’actualisation de son site web sur le riz doré, l’IRRI, centre international de recherche sur le riz, basé aux Philippines, se contente de mentionner l’autorisation du riz doré pour l’alimentation animale, humaine et la transformation, le 18 décembre 2019, par le ministère de l’agriculture…. philippin ; et il mentionne simplement la demande en cours au Bangladesh [8].

D’autres pays ont autorisé ce riz doré

Quatre autres pays ont autorisé ce riz doré : l’Australie et la Nouvelle Zélande (le 22 février 2018), la Canada (le 16 mars 2018) et les États-Unis (le 24 mai 2018). Dans ces pays, comme l’avait décrypté Inf’OGM [9], nul besoin de ce riz doré pour lutter contre des déficiences en vitamine A. D’ailleurs, dans aucun de ces pays l’autorisation ne mentionne cette faculté. Non, ces autorisations servaient plutôt d’incitation pour les futurs pays producteurs de ce riz : en effet, d’une part les autorités sanitaires des pays qui ont approuvé le riz doré certifient que ce riz peut être consommé sans problème ; et d’autre part, les futurs pays producteurs ne s’exposeront pas à un refus, en cas de contaminations involontaires par ce riz doré dans des lots de riz exportés.

Greenpeace et d’autres ONG environnementalistes, comme Vigilance OGM au Québec qui vient de publier un article [10] sur le sujet, argumentent que la mise au point de ce riz doré détourne des moyens considérables de recherche au détriment de solutions alternatives, comme l’amélioration de la diète alimentaire. Une autre critique, récente, est issue d’une étude publiée en avril 2019 dans Food Chemistry [11] : la teneur en pro-vitamine A de ce riz doré décroit très vite en fonction à la fois des conditions de stockage et des conditions de cuisson [12] (voir encadré ci-dessous).

Le bêta-carotène dans le riz doré se dégrade rapidement pendant l’entreposage et la cuisson

« Lorsque le riz doré est entreposé et cuit, il pourrait perdre la totalité, ou presque, de son bêta-carotène. Une étude réalisée en 2019 a révélé que le bêta-carotène du riz doré se dégrade avec le temps. Ceci est d’autant plus important que le riz est généralement stocké pendant de longues périodes avant d’être consommé. Les niveaux de dégradation étaient plus faibles dans le riz entreposé à des températures plus fraîches et non exposé à l’air (sous vide). Après six mois de stockage dans des conditions et à des températures communes, le bêta-carotène du riz doré s’est dégradé de 80 à 84 %. Par la suite, la cuisson a dégradé le bêta-carotène de 17 à 24 % additionnel » [13].

Des alternatives plus simples et moins coûteuses

Au final, et nous l’avons déjà écrit sur le sujet général de la biofortification [14], enrichir une plante en micronutriments, notamment à partir de modifications génétiques, n’est pas la solution d’un problème beaucoup plus vaste que le simple déficit en vitamines ou autre micronutriment. Ces déficits, encore appelés « faim cachée », sont le résultat des inégalités et de la pauvreté et comme tel, devront trouver des solutions politiques : une politique de développement plus égalitaire, des productions alimentaires variées et accessibles à tous…

Et à court terme, des supplémentations en vitamine A, comme recommandées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « Pour des enfants en carence, une administration de fortes doses de vitamines A, à bas coûts... produit des résultats remarquables, en réduisant la mortalité de 23 % » [15]. Et pour les Philippines par exemple, après des programmes d’éducation à la nutrition combinés à des apports de vitamine A, les carences ont diminué de 40 % en 2003 à 15 % en 2008 [16] et 5 % en 2010 [17], ce qui fait que l’OMS ne considère plus cette déficience comme un problème aux Philippines [18].

[4Et jusqu’à 4500 en enfants pauvres chaque jour (soit 1,6 millions de personnes/an) selon les promoteurs du riz doré. https://leapsmag.com/we-pioneered-a-technology-to-save-millions-of-poor-children-but-a-worldwide-smear-campaign-has-blocked-it/

[11"Kinetics of β-carotene degradation under different storage conditions in transgenic Golden Rice® lines", Haritha Bollinedia, Jyoti Dhakane-Ladb, S. Gopala Krishnana, P.K. Bhowmicka, K.V. Prabhuc, N.K. Singhd, A.K. Singha, Food Chemistry, Volume 278, 25 April 2019, Pages 773-779.

[15World Health Organization (WHO). 2013. Micronutrient Deficiencies : Vitamin A Deficiency.

[16Department of Health. 2011. Chapter 5 of the National Objectives for Health 2011-2016.

[18UN Standing Committee on Nutrition. 2010. Sixth report on the World Nutrition Situation.