Lettre ouverte de chercheurs contre la dérèglementation des OGM

Plus de cent scientifiques interpellent la Commission européenne sur les lacunes de sa proposition de dérèglementation des OGM, formulée en juillet 2023. Alors que cette proposition fait l’objet d’intenses négociations politiques à Bruxelles, ces scientifiques demandent notamment une évaluation des risques complète et une transparence totale pour tous les citoyens.

Selon la Commission européenne, les OGM obtenus par de nouvelles techniques de modification génétique (NTG) seraient équivalents à ce qui peut apparaître spontanément dans la nature ou être obtenu par des méthodes conventionnelles de production de semences. Sur base de ce postulat, pourtant contesté, elle propose de mettre fin à l’évaluation des risques et à la traçabilité de ces OGM. Une approche qui est loin d’être partagée par le monde scientifique, comme en témoignent deux lettres ouvertes adressées à la Commission européenne. Deux lettres qui rejoignent les nombreuses voix de syndicats agricoles, associations de défense de l’environnement, associations de consommateurs ou encore distributeurs, qui s’alarment d’une dérèglementation des OGM.

Des lacunes dénoncées par 100 scientifiques

Début décembre 2023, cent scientifiques ont co-signé une lettre adressée à la Commission européenne pour s’opposer au projet de dérèglementation des OGM [1]. Ils sont issus de différents domaines de recherche, mais en lien de près ou de loin avec les questions agricoles, comme « l’agroécologie, l’écologie politique, la sociologie rurale, la biologie moléculaire, l’histoire environnementale, la génétique des populations, la biologie de l’évolution, l’écologie, l’agronomie ou encore l’étude des innovations ». Ils expliquent que les deux catégories d’OGM/NTG n’ont « aucun fondement scientifique ». Selon eux, le postulat affirmant qu’une « plante GM [génétiquement modifiée] avec moins de vingt modifications génétiques telles que listées par la Commission européenne présentera moins de risques qu’une plante GM avec plus de vingt modifications génétiques » ne fait l’objet d’aucune preuve. Une aberration d’autant plus grande, précisent-ils, que le risque ne dépend pas du nombre de modifications génétiques mais de ce qu’elles font.

Le non-respect du principe de précaution est une source d’inquiétudes pour ces chercheurs. Si la Commission européenne elle-même souligne l’importance de ce principe dans sa proposition (NDLR : dans l’exposé des motifs, pas dans la proposition de règlement), les chercheurs notent que ce principe est pourtant « complètement exclu du plus grand groupe de NTG, la catégorie 1 ». Pour ce groupe, ni évaluation concrète des effets potentiels sur la santé et l’environnement, ni traçabilité qui permettrait d’agir en cas de problème après commercialisation ne sont envisagées.
D’après ces scientifiques, la Commission européenne fait une erreur de raisonnement l’amenant à ne pas respecter le principe de précaution. Ils expliquent ainsi que lier la (soi-disant) précision des techniques telle que promue par la Commission et une absence de risque est « trop facile ». Les nouvelles techniques ciblent l’ADN, une molécule « encore largement inexplorée ». Selon eux, il est également aberrant de ne pas prendre en compte comme le fait la Commission européenne « les dommages non souhaités que de nouvelles techniques comme Crispr/Cas introduisent dans le génome ». Les chercheurs soulignent que ces effets sont pourtant décrit dans la proposition de dérèglementation, « reconnaissant que même dans la catégorie 1 des NTG, des modifications majeures peuvent avoir lieu qui peuvent modifier significativement la structure et la composition des aliments et donc leur valeur nutritionnelle ou la quantité de composés non désirés ». Alors que la Commission européenne propose d’oublier la méthode de modification génétique utilisée pour décider si des risques doivent être obligatoirement évalués ou non, les chercheurs rappellent que « des modifications non-intentionnelles liées à la méthode utilisée peuvent présenter des risques sur la santé ou l’environnement ». La surveillance de ces effets devrait donc être obligatoire selon eux, comme l’impose la législation actuelle sur les OGM.

Les chercheurs soulignent également que cette dérèglementation poserait des problèmes quant à une appropriation généralisée du vivant. Ils estiment ainsi que ces OGM/NTG « pourraient être le cheval de Troie ouvrant la porte à la brevetabilité potentielle de toutes les semences dans le futur, pas seulement celles manipulées génétiquement ».

Une évaluation des risques au cas par cas

Une seconde lettre, signée de dix-sept scientifiques, a également été publiée en décembre [2]. Ces scientifiques soulignent l’importance pour l’Union européenne de conserver l’approche formulée par écrit dans la directive européenne 2001/18. Dans cette dernière, le législateur européen appelait à « une recherche systématique et indépendante concernant les risques potentiels que peuvent présenter la dissémination volontaire ou la mise sur le marché d’OGM » [3]. Or, ils analysent que « la proposition faite par la Commission européenne ne permet pas d’assurer la sécurité sanitaire et environnementale si des plantes NTG et leurs produits sont disséminés dans l’environnement ou commercialisés sur le marché européen ». Ils appellent donc au rejet de cette proposition. Car seule une évaluation des risques au cas par cas, comme c’est le cas avec la réglementation européenne en cours, permettrait de protéger la santé et l’environnement.

Ils appellent également à un étiquetage et une traçabilité complète des plantes OGM/NTG, jusqu’aux consommateurs finaux. Comme ils le précisent, seule cette traçabilité « permettrait une intervention et le retrait de produits en cas de dommages sur la santé, l’environnement ou la biodiversité ». Outre cette capacité technique d’agir en cas de problèmes, les scientifiques estiment que les consommateurs, producteurs, agriculteurs et obtenteurs doivent bénéficier d’une « transparence totale sur les plantes NTG et leurs usages à différentes étapes de la chaine alimentaire ».