UE - Maïs MON810 : des pyrales résistantes peut-être déjà là

Entre 2009 et 2013, les quelques cultures de maïs MON810 en Europe ont fait l’objet d’une surveillance environnementale post-commercialisation commanditée par Monsanto elle-même. Mais les experts de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) et du comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) émettent des critiques tant sur le fond que sur la forme. Des critiques qui interrogent la capacité ou la volonté de l’entreprise à mener une surveillance correcte. Paradoxalement, les experts de l’AESA valident malgré tout la conclusion de Monsanto qu’aucun effet lié à la culture du maïs MON810 n’a été observé alors que ceux du HCB, malgré l’ambiguïté de leur conclusion, ne les valident pas ! Résultat des courses : on ignore s’il existe des pyrales résistantes au maïs MON810 censé les tuer mais Monsanto refuse de modifier sa méthodologie de surveillance...

Le maïs MON810, génétiquement modifié par transgenèse pour exprimer la protéine insecticide Cry1Ab, a été autorisé en 1998 pour la culture, l’importation et l’alimentation humaine et animale selon la directive 90/220 (remplacée depuis par la directive 2001/18). Avant d’être autorisé, un OGM doit être évalué afin de garantir l’absence de risque pour la santé et l’environnement. Et une fois autorisé, la législation prévoit qu’une surveillance de l’environnement des cultures de plantes génétiquement modifiées (PGM) soit effectuée afin de confirmer que les risques anticipés n’apparaissent effectivement pas (c’est la surveillance spécifique) ou que d’autres risques non prévus ne se déclarent pas (c’est la surveillance générale). Cette surveillance générale n’est obligatoire que pour les plantes génétiquement modifiées (PGM) autorisées après 2001, donc pas pour les cultures de maïs MON810, la seule PGM autorisée à la culture actuellement dans l’Union européenne… Monsanto souligne d’ailleurs chaque année qu’elle « rend compte volontairement de ses travaux [de surveillance générale] » [1]. L’intérêt de cette surveillance générale volontaire pour Monsanto, c’est de pouvoir alimenter l’AESA en données montrant, selon Monsanto, l’absence d’impact sur l’environnement du maïs MON810. En revanche, la surveillance spécifique est, elle, obligatoire, conformément à la décision d’autorisation du maïs MON810 [2]. Monsanto a fourni chacun de ses rapports comme nous l’a confirmé la Commission européenne mais seuls les rapports post cultures de 2009 sont publiés sur Internet [3]. Et c’est seulement depuis 2010, deux ans après que Monsanto ait déposé sa demande de renouvellement d’autorisation, que la Commission demande à l’AESA d’évaluer ces rapports…

Un suivi post cultures très lacunaire

La surveillance spécifique vise à vérifier l’efficacité des mesures préconisées pour limiter l’apparition d’insectes résistants à la protéine insecticide. Il s’agit de prélever des insectes dans les champs alentours et dans les champs de culture de maïs MON810 afin d’étudier une possible émergence de la résistance.
Dès le rapport de 2009 [4], c’est la rigueur scientifique de l’entreprise qui est questionnée par l’AESA et le Comité Scientifique (CS) du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB). Un point clef concerne les prélèvements d’insectes aux champs afin d’analyser leur potentielle résistance ou début de résistance à la protéine insecticide Cry1Ab et la comparaison à des insectes témoins. Où doivent être prélevés ces insectes ? Pour l’AESA, les prélèvements doivent être faits dans des cultures significatives et répétées ainsi que dans des zones où les insectes sont moins exposés aux protéines insecticides [5]. Pour être exhaustif, on peut imaginer que l’entreprise prélève des insectes dans les champs de maïs GM (si elle en trouve), en bordure immédiate, dans des champs non OGM situés à quelques mètres et dans des champs OGM situés encore plus loin. Pour un témoin prélevé aux champs, l’entreprise peut aller le chercher dans une zone exempte de cultures de maïs MON810 en Europe. Mais les rapports fournis par Monsanto ne sont pas très précis, l’entreprise renseignant au mieux la région, tout en précisant néanmoins qu’en 2012 par exemple, les pyrales ont été prélevées « dans deux sites séparés d’au moins 50 km […] des champs naturellement infestés de pyrales ou zones refuge des champs de maïs MON810 ».

Si les lignes directrices de l’AESA ne sont pas contraignantes, les pratiques de Monsanto ne répondent en tout cas pas aux attentes des experts européens et français. Car les experts affirment que Monsanto ne fait pas de prélèvement dans les champs de maïs GM mais « seulement » dans des champs de maïs non GM qui se trouvent dans des régions de culture de maïs GM, ne revient pas deux années de suite sur un même champ, ne compare pas toujours ses témoins de laboratoire avec les pyrales prélevées aux champs…
Après avoir analysé les rapports de Monsanto, l’AESA préconise donc que « soient inclus dans les échantillons [prélevés aux champs] les insectes cibles survivants dans les champs de maïs MON810 afin de détecter des individus potentiellement résistants  » [6]. Dans la même veine, le Comité scientifique (CS) du HCB note dans son avis sur le rapport de 2009 que la méthode suivie n’est « pas la plus appropriée pour suivre l’évolution de résistance » [7]. Et d’enfoncer le clou l’année suivante en soulignant que Monsanto n’a pas conduit de surveillance dans une zone espagnole (la vallée de l’Ebre) pourtant identifiée par le HCB sur la base du rapport de 2009 comme lieu d’une possible apparition de résistance à la protéine Cry1Ab [8] ! Monsanto ne revient donc pas deux années de suite au même endroit. Ce constat devient problématique pour le rapport de 2012 [9]. Le CS explique que « Monsanto conclut sur l’absence d’évidence d’une baisse de sensibilité des pyrales en 2012 » en comparant ses données à celles des années précédentes mais pas à celles de témoins prélevés dans des champs de maïs non GM se trouvant dans des zones en Europe, ni à des témoins de laboratoire. Si elle n’a pas de témoins prélevés aux champs, Monsanto fournit pourtant bien les données de sensibilité d’une lignée de pyrales de laboratoire mais ne fait aucune comparaison ! Bien lui en aurait pris pourtant car cette comparaison, le CS du HCB l’a faite et le résultat est pour le moins inquiétant : les pyrales prélevées dans le sud-ouest de l’Espagne sont dix fois moins sensibles que celles témoins conservées en laboratoire. Une différence qui peut s’expliquer soit par une apparition de résistance bien réelle, soit par une plus grande fragilité de la souche de laboratoire qui meurt donc plus en présence de la toxine Cry1Ab (la souche peut être fragilisée du fait d’une infection, avoir tout simplement « dégénéré »...). Le CS du HCB conclut qu’il n’est pas « en mesure d’exclure une augmentation de la fréquence d’allèles de résistance à la toxine Cry1Ab dans les populations de pyrales de cette région d’Espagne » et recommande encore que soient renouvelés « les tests de sensibilité à la toxine Cry1Ab des populations de pyrales de cette région sur des échantillons de 2013 ».
L’AESA, elle, ne retient que l’hypothèse d’une souche de laboratoire plus fragile, tout en reconnaissant pourtant ne pas avoir les informations nécessaires pour cela [10] ! La situation devient encore plus cocasse quand l’AESA ne recommande pas à Monsanto de surveiller à nouveau le sud-ouest espagnol mais lui suggère de faire des prélèvements « dans des zones où l’adoption du maïs MON810 est importante, notamment dans le nord-est de l’Espagne ». Et c’est bien une des rares suggestions que Monsanto a suivie l’année suivante, en 2013, puisque les prélèvements effectués n’ont pas été faits dans le sud-ouest mais dans le nord-est et le centre de l’Espagne ! Sans qu’aucune comparaison ne soit donc possible entre des insectes de deux régions différentes, l’AESA conclut pourtant que « les données ne confirment pas l’hypothèse d’une résistance croissante à la protéine Cry1Ab en Espagne » [11]

De son côté, le HCB en est resté au rapport de 2012 : il « n’a pas été saisi sur [le rapport de 2013] depuis le début du nouveau mandat qui a débuté en janvier 2015 ». Mais de nous indiquer qu’un examen de ce rapport sera toutefois rendu « à l’occasion d’une saisine dont le traitement est en cours et qui sera disponible ultérieurement sur le site du HCB » [12]. Cette saisine, c’est celle « des sénateur et député B. Accoyer et J. Bizet sur les effets environnementaux du maïs OGM MON810 ». Mais ce n’est pas l’intégralité du rapport qui sera analysée car seules « des données du rapport de surveillance de 2013 sont mobilisées, sans couvrir l’ensemble des points du rapport ». Il ne s’agira donc « pas [d’une] réponse officielle sur l’ensemble du rapport ». Dommage, car cela aurait permis un travail du HCB sur la durée... pour une bonne information des citoyens.

Pour la sésamie, autre insecte ciblé par la protéine Cry1Ab, même critique du CS du HCB [13] : « L’analyse [...] suggère une diminution légère mais constante de la sensibilité des sésamies à la toxine Cry1Ab entre les années 2007, 2010 et 2012 dans les échantillons du sud-ouest de la Péninsule Ibérique, et entre les années 2004, 2010 et 2012 dans les échantillons du centre de la Péninsule Ibérique ». Sans être alarmiste, le CS du HCB indique que « les sensibilités des populations de sésamies échantillonnées en 2012 sont significativement inférieures à celles de la souche sensible de référence (Annexe 7, p. 11), ce qui n’était pas arrivé auparavant »...

Des zones refuge déficientes

Une des mesures agricoles préconisées pour limiter de telles apparitions de résistance est la mise en place de zones refuges où devrait être cultivé du maïs non GM. Leur mise en œuvre est vérifiée via des questionnaires adressés aux agriculteurs. Or, dès le rapport de 2009, l’AESA note que cette mesure n’est pas respectée. Selon les année, seuls 7 à 19% des agriculteurs le font… L’AESA recommande donc « que le pétitionnaire maintienne ses efforts pour augmenter le taux de conformité, notamment dans les régions à forte adoption du maïs MON810 » [14]. Une formulation douce du fait que Monsanto n’est pas légalement responsable de la mise en place de ces zones !

Dans leur opinion sur le rapport 2012 [15], les experts français critiquaient de manière plus générale la méthodologie même du questionnaire. Pour eux, les agriculteurs « n’ont pas nécessairement intérêt à fournir des réponses conformes à la réalité ». Le CS du HCB précise aussi que la mise en place des zones refuges dépend de la seule bonne volonté des agriculteurs car aucune la loi ne les y oblige (l’Espagne n’a toujours pas promulgué sa loi de coexistence [16]). Or, pour le CS du HCB, « de ce point de vue, le plan de gestion des résistances est insuffisant, puisque si les agriculteurs ont un intérêt collectif à retarder le développement de la résistance, ils n’ont en théorie pas d’intérêt individuel à supporter les coûts associés à une zone refuge ». Et de proposer que « la CE impose le respect des zones refuge par les agriculteurs cultivant du MON810 ou toute autre culture exprimant une toxine Bt, par l’intermédiaire d’une mention explicite dans la décision d’autorisation de cette culture ». Il est ici intéressant de rappeler qu’aux États-Unis, après plusieurs années de respect aléatoire des zones refuge, elles-mêmes sous-estimées en termes de surface, le ministère de l’Environnement vient de soumettre à consultation publique une proposition d’encadrement des cultures de PGM [17]. La raison en est tout simplement l’apparition de chrysomèles des racines du maïs résistantes aux protéines insecticides Bt...

La surveillance générale : Monsanto peut mieux faire...

Le plan de surveillance générale vise à détecter des impacts non prévus et, rappelons-le, n’est pas obligatoire pour les PGM autorisées avant 2001. Outre les réponses obtenues des agriculteurs aux questionnaires dont nous avons déjà parlé, il inclut une revue de la littérature scientifique.

Pour le CS du HCB, la surveillance générale pratiquée par Monsanto pose trois problèmes. Les deux premiers sont la partialité de l’entreprise dans son travail de revue bibliographique [18] comme dans sa lecture des réponses aux questionnaires, excluant toutes observations rapportées par moins de 10% des agriculteurs ayant répondu [19] ! Pour le CS du HCB, conclure à une absence d’effets car ceux rapportés le sont par moins de 10 % des agriculteurs n’a pas de sens [20]. Le troisième problème soulevé dans le rapport de 2009 est que les réponses aux questionnaires sont obtenues sur la base d’interviews des agriculteurs, « diligentés par des sociétés de sondage commanditées par la société Monsanto [...] En Pologne, la société Monsanto elle-même assure les interviews ». Un point relevé également par l’AESA sur le rapport de 2011 avec, cette fois, la Roumanie où « des représentants de Monsanto ont assisté les agriculteurs pour remplir le questionnaire » [21]...
Le CS du HCB propose donc dans son opinion sur le rapport de 2012 « de faire reposer la surveillance générale [...] également sur une collecte d’informations dans les champs par des personnes formées, dans le cadre de réseaux d’observation indépendants ». Face à ces critiques du HCB relayées également par l’AESA, Monsanto a, en 2013, tout simplement pris le parti du mutisme. L’AESA note qu’« en l’absence d’information sur la surveillance générale des cultures de maïs MON810 en 2013, le panel OGM de l’AESA ne peut conclure sur de potentiels effets non anticipés dus à la culture du maïs MON810 » [22] !

… mais ne le souhaite pas !

Toutes ces critiques constituent des attaques en bonne et due forme sur la capacité de Monsanto à conduire une surveillance environnementale selon des méthodes relevant de la « bonne science ». Côté français, les experts n’ont jamais validé les conclusions de Monsanto [23]. Mais côté européen, malgré toutes les critiques formulées sur les méthodes d’échantillonnages, d’analyses, de partialité dans les lectures scientifiques, de biais dans la récolte de réponses aux questionnaires aux agriculteurs, de biais dans l’analyse de ces mêmes réponses… l’AESA a toujours conclu que les données fournies dans les rapports ne montrent pas d’impact négatif sur la santé ou l’environnement ! Une conclusion paradoxale qui n’a pas échappé à Monsanto. Cette dernière l’a soulignée à la Commission européenne dans une lettre de novembre 2014, transmise par la Commission à l’AESA en mars 2015 [24]. Dans cette lettre, Monsanto écrit « l’AESA [étant] d’accord avec les conclusions de Monsanto qu’aucun effet n’a été observé sur l’environnement [...] du fait de la culture de maïs MON810 [...] les affirmations [de l’AESA] sur des faiblesses dans la méthode générale de surveillance environnementale post-commercialisation sont surprenantes ». Et l’entreprise de tenter de tirer profit de son volontarisme à fournir ces rapports malgré l’absence d’obligation légale, tout en omettant néanmoins de rappeler que la surveillance spécifique est obligatoire. L’entreprise fait ainsi part de son inquiétude si les recommandations d’amélioration de l’AESA devaient devenir obligatoires dans le cadre du renouvellement de l’autorisation du maïs MON810. Renouvellement qui se fera, rappelons-le, selon la législation en vigueur rendant obligatoires les surveillances générale et spécifique. Mais Monsanto considère qu’il n’existe aucune raison de modifier son plan de surveillance des insectes [25] et regrette que l’AESA n’ait pas fait part de ses critiques lors de réunions en 2013 entre EuropaBio, la Commission européenne et l’AESA sur ce sujet de la surveillance environnementale précisément. La réponse de l’AESA est maintenant attendue...

[4Inf’OGM a choisi de donner la date de culture comme référence. Ainsi, le rapport de 2009 est le rapport fourni par Monsanto pour les cultures de maïs MON810 ayant eu lieu en 2009. Les comités d’experts publient leur avis généralement deux ans plus tard

[11cf. note 6

[12Source Inf’OGM

[13cf. note 9

[14cf. note 10

[15cf. note 9

[18Dans son opinion sur le rapport de 2009 (cf. note 5), le Comité Scientifique note que Monsanto « met en avant des publications qui concluent à l’absence d’effet significatif sans en souligner les limites [...]. Elle fait en revanche une lecture plus critique des articles qui conduisent aux conclusions inverses ». Une critique non renouvelée sur les rapports 2010 et 2012. L’AESA observe qu’un article en particulier a échappé à la revue de Monsanto, qui observe que le maïs MON810 pourrait avoir un effet sur la population de Staphylins, un coléoptère

[19cf. note 7

[20cf. note 7

[22cf. note 4

[23Pour le rapport 2012, l’ambiguïté de la conclusion : « en conclusion générale, les analyses contenues dans le rapport de surveillance de Monsanto ne font apparaître aucun problème majeur associé à la culture de maïs MON 810 en 2012 », ne doit pas laisser croire à une validation des conclusions de Monsanto mais simplement à un rappel des conclusions de l’entreprise

[24

Lettre de Monsanto à la Commission européenne sur les plans de surveillances des OGM (2014)

[25

Lettre de Monsanto à la Commission européenne sur les plans de surveillances des OGM (2014)