Enric Navarro est agriculteur, installé depuis 2002 à Albons (Girona, Catalogne espagnole). Sa ferme de sept hectares, en agriculture écologique (dont un hectare de légumes), est aussi une ferme pédagogique en agroécologie et énergies alternatives [1].
Des agriculteurs bio en colère
En 2004, Enric sème deux lignes de maïs, avec une semence achetée à Pioneer (un sac de 50 000 grains de la variété PR 34N43) pour faire de la polenta. Il avait dû choisir cette variété car l’équivalent en bio n’existe pas. Un certificat garantit cependant que cette semence est « libre d’OGM ». Il prend même le soin, avant semis, de faire analyser les semences par le conseil catalan de la production en agriculture écologique (CCPAE), qui trouve zéro OGM.
Il récolte fin 2004, et en 2005, il ressème 3000 m2 de maïs, avec la même semence qui restait du sac. Le CCPAE, revenu faire un échantillonnage, détecte 12,6% de contamination par des OGM. Enric stoppe alors la récolte et informe le Darp (ministère catalan de l’agriculture), qui à l’époque affirmait qu’il n’y avait aucune contamination en Catalogne. Le responsable des OGM au Darp, Xavier Ferré, vient alors en personne prendre des échantillons. Résultats : les échantillons sont positifs sur quelques plantes (feuilles et tiges) et grains. Sa conclusion : la semence de l’année deux était contaminée. En effet, si la fleur est fécondée par un pollen GM pendant l’année de culture, alors le grain le sera aussi, mais pas la tige ni les feuilles.
Le Darp suggère alors à Enric d’écouler sa production dans la filière classique. Mais la Unio de pageses, syndicat auquel appartient Enric, insiste alors pour que les résultats soient rendus publics, ce qui est fait en février 2006, en brûlant publiquement la récolte.
Alors, semence contaminée ou contamination par les autres cultures ? La seule explication plausible est que des grains contaminés, venus d’ailleurs, sont arrivés dans le champ avant ou au moment du semis. Enric explique : “Ici souffle la tramontane. Par grand vent, mon champ se recouvre de débris de récolte des champs voisins, transgéniques, situés à 80 ou 100 m de ma ferme. J’ai même vu des épis entiers arrivés là”. Si de nombreuses recherches ont lieu sur les distances parcourues par le pollen du maïs, aucune, à notre connaissance, n’avait mis à jour le “transport de grains entiers” par le vent !
Ce cas s’ajoute aux six autres cas de contamination génétique de cultures écologiques et conventionnelles révélés en 2006 par l’Assemblea Pagesa, Plataforma Transgénics Fora ! et Greenpeace dans un rapport commun [2]. Nouveaux cas en 2007 : c’est cette fois-ci le Centre de Conservation de la Biodiversité Cultivée de Manresa (ESPORUS) qui révèle la contamination d’une variété locale de maïs, baptisée “del queixal”, par du Bt176 à hauteur de 5,6% [3]. Et en mai 2007, 30 de 40 échantillons d’alimentation animale “bio” sont aussi positifs ! ++++
Comment en est-on arrivé là ?
1998 : c’est l’année où l’Union européenne autorise la culture de certaines plantes transgéniques, dont trois événements de transformation pour le maïs : deux qui produisent la protéine Bt - le Mon 810 (Monsanto) et le Bt 176 (Novartis) - et une résistante à un herbicide : le T25 (AgrEvo). La France autorisera des variétés de maïs Bt176 [4] et Mon810, et l’on aura 2000 ha de maïs GM Bt 176 cultivés commercialement en 1998, et 150 hectares en 1999. Entre 2000 et 2004, ce chiffre est proche de zéro [5], puis remonte à partir de 2005 (cf. tableau 1, ci-dessous). Les actions de la Confédération paysanne dès 1997 (arrachages d’essais, dénaturation de stocks de semences prêts pour la saison 1998), et celles de Greenpeace (bateaux chargés de soja GM arraisonnés), la Conférence des citoyens de 1998, bref, la médiatisation des OGM, a entraîné la réticence des consommateurs, et a “coupé à la racine” les velléités de développement des semenciers (on sait que des stocks pour ensemencer 20 000 hectares en 1998 étaient prêts). Les grandes surfaces (Carrefour…), à leur tour, déclarent leur intention de ne pas commercialiser d’OGM.
Tableau 1 : Surfaces commerciales de maïs GM semées en Espagne et en France (en ha)
Année | France | Espagne |
1998 | 2000 | 22 468 |
1999 | 150 | 25 072 |
2000 | 34 | 26 964 |
2001 | 15 | 11 598 |
2002 | sd | 20 992 |
2003 | 10 | 32 248 |
2004 | sd | 58 200 |
2005 | 492,8 | 50 000 à 57 000 |
2006 | 5 500 | 60 000 (a) |
2007 | de 10 000 à 50 000 ? | 60 000 ? |
Source : sd = sans données
(a) Les 60 000 hectares de maïs GM cultivés en 2006 l’ont été à plus de 50% en Catalogne (où 40% du maïs est GM) et Aragón (60% du maïs est GM).
Sources : Pour l’Espagne, données officielles, mais pas toujours concordantes, notamment entre le représentant du gouvernement espagnol à la Commission européenne et le ministère espagnol de l’environnement, qui annoncent pour 2005, respectivement, 57000 et 50000 hectares (cité dans le rapport Greenpeace/PTF/AP, op.cit.).
Pour la France, données officielles, sauf pour 1998 (AFP).
Espagne : aucun obstacle à l’expansion du maïs GM
Dès 1998, l’Espagne sème plus de 20 000 hectares de maïs GM, soit dix fois plus que la France. Les chiffres sont imprécis (le ministère de l’Agriculture ne relève que les quantités de semences vendues, chiffres donnés par les semenciers), mais l’ordre de grandeur est en 2005 autour de 12% de la sole totale de maïs. Dès 1998, le gouvernement espagnol (du parti populaire, de droite) autorise deux variétés de Bt176 [6], octroyant le suivi de ces cultures (biovigilance) aux entreprises elles-mêmes. Les quelques personnes critiques sur les OGM ont eu beaucoup de mal à se faire entendre, d’où la progression constante des cultures par la suite, appuyée par le gouvernement et la propagande agressive des entreprises semencières. Avec l’arrivée des socialistes au pouvoir en mars 2004, les organisations de la société civile ont été un peu plus écoutées, avec notamment l’admission d’un représentant du secteur écologiste dans la commission nationale de biovigilance. Lors des votes d’autorisations en Conseil des ministres à l’UE, l’Etat espagnol est alors passé de “pro-transgénique” à “abstentionniste” dans la majorité des cas. Ce qui ne l’a pas empêché, au niveau national, d’approuver 14 nouvelles variétés de maïs MON810 en juillet 2005, portant à une quarantaine le nombre de variétés autorisées. Sur recommandations de l’agence européenne de sécurité sanitaire (EFSA), les variétés de Bt176 ont été retirées du catalogue national en 2005 [7].
La différence de surfaces de maïs GM entre la France et l’Espagne vient donc d’une part de l’absence de mobilisation des associations, donc de débat public en Espagne, et d’autre part, de l’appui, en dehors de toutes contraintes, du gouvernement espagnol en 1998 aux semenciers. C’est ainsi qu’en 2006, à la réunion de Vienne sur la coexistence organisée par l’Union européenne, le ministère de l’Agriculture, l’ASAJA (syndicat des propriétaires terriens) et l’administration espagnole ont soutenu qu’il n’y avait pas de contamination et que donc la coexistence était possible.
Mais pourquoi si peu de mobilisation ? Selon certaines associations écologistes, une des raisons serait la différence de composition sociologique des campagnes française et espagnole. L’Espagne n’a pas connu le phénomène des néo-ruraux post soixante-huit français, qui constituent un des noyaux de la Confédération paysanne. Du coup, la population paysanne espagnole, vieillissante, n’est pas aussi ouverte sur les alternatives (agriculture bio…) qu’en France. En Espagne, le productivisme, peu remis en question, continue à être synonyme de progrès, y compris avec les OGM.
Des contrôles officiels parfaits ?
Pour les cultures, Xavier Ferré (Darp) se veut rassurant : “Il existe en Catalogne un plan de contrôle des semences certifiées, financé par le Mapa (ministère espagnol de l’Agriculture). 100% des semences certifiées produites en Catalogne sont contrôlées ; et deux tiers des semences importées sont contrôlées. Jusqu’à maintenant, aucun lot de semences produites en Catalogne n’a été déclassé (sur la base du 0,9%)” (mais cf. aussi encadré ci-dessous).
Contrôle : aucun problème !
Les contrôles des denrées alimentaires sont assurés par le service d’inspection agroalimentaire. Pour l’instant, seuls quatre laboratoires nationaux sont accrédités : deux à Valencia, et deux à Madrid. D’autres laboratoires privés réalisent également ce travail. En Catalogne, la Generalitat (c’est le gouvernement autonome) est en train de faire accréditer un laboratoire aux normes ISO (prévu avant fin 2007).
Les contrôles après mise sur le marché sont assurés par l’Agence Espagnole de Sécurité Alimentaire (AESA), qui dépend du Mapa (ministère espagnol de l’Agriculture). En Catalogne, c’est l’agence catalane de la consommation qui communique les résultats. Sur 12 analyses en Catalogne en 2004, trois échantillons avaient des traces d’OGM : deux inférieurs à 1%, et un supérieur à 1%. En 2005, 30 analyses ont été effectuées, dont on attend encore les résultats, malgré plusieurs demandes des associations environnementalistes, dont l’association “Naturalistas en Girona”, qui, après avoir saisi le défenseur du citoyen de l’UE, compte bien saisir le défenseur du citoyen de Catalogne, poste tout récemment créé.
Le Conseil Supérieur de Recherches scientifiques (CSIC) fait aussi les contrôles pour le Mapa. Teresa Esteba, responsable des contrôles au CSIC, nous a assuré qu’aucun contrôle sur le riz ne lui avait été demandé… Elle en déduit que pour l’Espagne, “il n’y a aucun problème”, alors même que la contamination de la filière riz bat son plein dans toute l’Europe…
Côté entreprises de transformation ou agriculteurs, le discours est pourtant plus nuancé. “Impossible de tout contrôler”, affirme ainsi le PDG de l’entreprise Tate Line [8], qui transforme du maïs non GM pour l’alimentation humaine (bonbons, amidon, Coca-Cola et fabrication de bière..). Tate Line fait donc ses propres contrôles, dont les coûts sont à sa charge, sur les grains après récolte, mais aussi sur feuille pendant la saison. Les échantillons sont analysés par le laboratoire SGS de Zaragosse qui contrôle 7000 ha pour Tate Line. Quelques traces de maïs GM ont bien été trouvées, mais sous les 0,9%. “Problème de nettoyage des machines, ou tout simplement mélange de semences au départ”, témoigne l’entrepreneur qui relate l’exemple d’un lot déclassé, suite à un don d’un sac de semences GM (par erreur ?) de la part d’un semencier à un agriculteur. Le président de la coopérative L. en Aragón, qui souhaite garder l’anonymat [9], affirme : “Chez nous, comme il n’y a pas eu de remembrement, les parcelles font souvent moins de cinq ha, pour des fermes qui font à peu près 20 ha au total. Et dans les petites parcelles, la coexistence est impossible”.
Par ailleurs, depuis 2005, un registre des cultures commerciales de PGM est obligatoire en Catalogne. Il sera bientôt sur le web. Le nom du producteur est gardé secret, mais pas l’endroit. Des agriculteurs nous ont cependant expliqué qu’en cas de doute avant semis, les agriculteurs préfèrent déclarer qu’ils vont semer du maïs GM, pour ne pas avoir à craindre les contrôles par la suite. On peut donc supposer une surestimation des chiffres de surfaces GM déclarées.
Maïs GM ou non GM : comment choisissent les agriculteurs ?
Raison technique ou commerciale, c’est le plus souvent le bénéfice économique potentiel à l’hectare qui déterminera le choix de l’agriculteur vers du maïs GM ou non GM.
Selon J. Messeguer, chercheuse à l’Institut public catalan de recherche en technologies agroalimentaires (Irta), les agriculteurs choisissent le maïs GM résistant à la pyrale (cf. encadré ci-dessous) uniquement s’ils pensent qu’ils vont avoir une attaque de pyrale, ce qui semble arriver plus souvent dans le cas d’un semis tardif. La date de semis est souvent dépendante de l’irrigation, du climat… Si l’agriculteur sème tôt, il opte donc en général pour du non GM, s’il sème tard (risques de pyrales plus élevés), il prend du maïs GM. Pour le PDG de l’entreprise Tate Line, qui a du mal à s’approvisionner en maïs non GM, les semenciers ont tout fait pour faire accepter ces nouvelles variétés : “S’il n’y a pas de pyrale, à variété égale, les rendements sont les mêmes. Mais les agriculteurs n’ont souvent pas le choix des entreprises semencières. Et quand l’idée que le maïs GM est meilleur est passée, c’est difficile de faire changer cette perception”. Le gérant de la coopérative L. renchérit : “Monsanto commande davantage que les gouvernements”. Il raconte la publicité “agressive” des semenciers : repas bien arrosés, journées de démonstration, semences gratuites, voyages dans les tropiques, cadeaux aux agriculteurs qui sèment plus de 50 hectares… “Mais les concessionnaires de voitures font la même chose”, nuance-t-il.
La pyrale : vraie ou fausse justification aux OGM ?
La pyrale est un papillon dont la chenille attaque la tige de maïs, qui du coup se couche : les épis sont certes indemnes, mais ne peuvent plus être récoltés à la machine. Et en dernière génération de son cycle, la pyrale attaque aussi les épis.
Suivant les personnes interrogées, l’appréciation des dégâts causés par la pyrale varie : à l’intérieur d’une même zone, tandis que certains agriculteurs relatent de fortes attaques, d’autres affirment que ces attaques sont très supportables.
Pour certains agronomes, la pyrale est un problème créé artificiellement par le manque de rotation agronomique. Angel Givanel, de la coopérative Joaquim Costa de Binefar, témoigne : “avant, on faisait cinq années de maïs puis une luzerne, et il n’y avait pas de pyrale. Aujourd’hui, on a une monoculture de maïs, et donc des attaques de pyrales”.
“Au départ, témoigne ce gérant, le maïs GM et non GM était livré séparément à la coopérative. Mais en absence de décret de coexistence, aucune distance de séparation n’est obligatoire entre maïs GM et non GM. Et comme la coopérative l’achète le même prix – 156 euro la tonne - , tout est mélangé aujourd’hui, étiqueté GM, et vendu pour l’alimentation animale. [...] La semence GM est 20% plus chère que la non GM : elle ne s’utilise que s’il y a de la pyrale, c’est une sorte d’assurance récolte. Et la pyrale ne devient pas résistante car il y a du non GM semé aussi”.
A quelques dizaines de kilomètres de là, une autre coopérative a pourtant fait le choix de la ségrégation, dès sa création en 1998. Les 400 membres la coopérative Joaquim Costa de Binefar produisent 10 000 T/an de maïs conventionnel, malgré l’environnement défavorable de champs cultivés en maïs GM, mais grâce à un parcellaire moins morcelé. Angel, le gérant, confirme la “propagande agressive” : “les « jeunes agriculteurs » d’Aragón, Monsanto et Pionner font beaucoup de publicité pour le maïs GM, et payent des encarts publicitaires dans les journaux. Les semenciers donnent des sacs de maïs GM aux producteurs pour qu’ils essayent. Et alors que la Coopérative organise des conférences sur le non GM deux à trois fois par an, les semenciers, eux, sont présents tous les jours”.
Dans cette coopérative, le maïs non GM est payé 10 euro de plus la tonne. Fervent défenseur de l’environnement, Angel précise : “Le maïs GM consomme davantage d’eau, car son cycle est plus long : pour un semis au 10 mars, le N43 non GM s’arrose jusqu’au 31 juillet, le maïs GM s’arrose jusqu’au 31 août”.
Espagne : record européen d’essais de PGM en champ
Si l’on en croit les chiffres officiels de la base de données européennes des essais en champ de plantes génétiquement modifiées (PGM), l’Espagne détient le record d’essais autorisés au niveau européen, suivie par la France, avec trois fois moins d’autorisation sur ces cinq dernières années [10].
Les chiffres espagnols sont des minima : les associations de défense de l’environnement ont en effet constaté de nombreuses irrégularités sur le terrain, avec des essais, notamment de maïs, effectués par les entreprises semencières, non déclarés officiellement [11]. Pire, quelques-uns de ces essais n’ont aucune barrière de protection, et la récolte de PGM non autorisés est parfois mélangée aux OGM autorisés ou avec le maïs conventionnel, et écoulée pour l’alimentation animale. Plusieurs fois dénoncées, ces pratiques n’ont jamais donné lieu à un quelconque procès. Ce qui n’empêche pas X. Ferre (Darp) d’affirmer : “Le suivi des essais est très strict : un tiers des essais sont détruits, et les entreprises reçoivent des sanctions si les normes de biosécurité ne sont pas appliquées”.
La recherche sur les PGM a commencé dans le milieu des années 90 en Espagne. En Catalogne, en 1999 et 2000, l’Irta (équivalent catalan de notre Inra)a notamment travaillé sur du riz résistant à la pyrale, ainsi que du riz résistant à la pyriculariose et au fusarium, et résistant à un herbicide.
Certains projets étaient menés en collaboration avec le Cirad : ce dernier n’a jamais pu transplanté son riz en Camargue, à cause de la destruction en 1999 de ses serres à Montpellier par des militants. L’Irta n’avait pas à souffrir de ces problèmes et a pu en toute tranquillité semer des parcelles expérimentales de riz GM dans le delta de l’Ebre, au milieu des parcelles de production commerciales de riz, mais cependant éloignées de la zone protégée du Parc Naturel. Objectif de l’essai : mesurer les flux de pollen entre riz conventionnel et riz GM, mais aussi les flux entre riz GM et riz sauvage rouge. Conclusion des travaux de l’Irta [12] : 10 à 15 m suffisent pour éviter la contamination. Mais les flux entre riz GM et riz sauvage rouge sont difficiles à contrôler.
A partir de ces résultats, le gouvernement autonome de la Région catalane a demandé à l’Irta de faire le même travail pour le maïs : déterminer les flux de pollen, afin de pouvoir rédiger le décret de coexistence sur les bases des résultats scientifiques.
Dès 2003, les premiers essais ont débuté, en partenariat avec Syngenta et Arvalis. Selon J. Messeguer, les essais effectués ont montré qu’une bordure de 20 à 25 m était suffisante pour maintenir la contamination à moins de 0,9%. Elle a également montré qu’une barrière pollinique avec du maïs non GM est plus efficace qu’un chemin de séparation [13].
D’où les recommandations qu’elle prodigue aux agriculteurs : planter des barrières avec du maïs non GM et décaler dans le temps les semis. J. Messeguer plaide pour la mise en place rapide d’un décret sur la coexistence : en l’absence de ce décret, aucune règle n’est obligatoire, aucun contrôle effectué, aucune sanction prononcée… “ni contre les agriculteurs responsables de la contamination, ni pour diffamation, contre ceux qui dénoncent, si le cas se présente...” précise-t-elle.
France, Espagne : même déficit de législation sur la coexistence
Depuis que la Commission a édicté ses recommandations sur les règles de coexistence entre culture GM et non GM [14], chaque pays est censé légiférer en la matière. Sur les 25 pays de l’UE, seuls sept l’ont fait, souvent dans un sens très restrictif, pas vraiment apprécié de la Commission européenne qui les attaque systématiquement. La France et l’Espagne ont toutes deux tenté une traduction législative de ces règles, que ce soit en terme de lois, de décrets, ou de “codes de bonnes pratiques”.
C’est cette dernière solution qui a pour l’instant été retenue par la France : elle recommande aux agriculteurs certaines “bonnes pratiques” de cultures, définies avec l’Assemblée générale des producteurs de maïs, dont 50 m de séparation entre cultures GM et non GM. Certes un projet de loi intégrant des éléments de coexistence a été approuvé par le Sénat en mars 2006, mais il a entraîné une telle mobilisation contre lui qu’il attend toujours dans l’anti-chambre de l’Assemblée nationale.
L’Espagne, dès 2003, s’est également mise au travail. Autonomie administrative oblige, la Catalogne et le Pays Basque ont en charge leur propre réglementation sur la coexistence, à condition qu’elle soit compatible avec la réglementation nationale.
Ainsi, en 2005, le gouvernement catalan (Généralitat) sort un premier projet de décret, incluant des règles de coexistence et des sanctions en cas de non application. Le décret catalan préconise 50 m de distance entre cultures GM et non GM, ce qui serait en contradiction avec le projet de décret national [15], qui stipule 200 m. La chercheuse J. Messeguer, de l’Irta, analyse : “c’est un compromis politique, car les résultats indiquent que 20 à 25 m sont suffisants. C’est ce qui était noté dans la première version du brouillon de décret.”. “En inscrivant 50 m, nous appliquons le principe de précaution”, rétorque X. Ferre du Darp. “Et il est prévu dans le décret une liste de bonnes pratiques : non mélange de semences, nettoyage des machines… et en plus des distances, des barrières de six rangées de maïs non GM autour d’un champ GM, ayant des cycles culturaux identiques pour avoir des dates de floraison à la même époque”. J. Messeguer approuve ces mesures mais reproche : “Aucun protocole de prélèvement pour détecter les contaminations n’est prévu”.
Le décret catalan ne prévoit pas non plus de fonds de compensation en cas de contamination. “Ce sont les lois civiles déjà existantes qui s’appliqueraient normalement”, explique X. Ferré. “Et si malgré toutes les règles de protection, un agriculteur est contaminé, c’est la Généralitat qui indemnise”.
Depuis juin 2005 cependant, le décret catalan est au point mort. On murmure que la Catalogne attendrait la sortie du décret national… et que le ministère espagnol de l’Agriculture attendrait un avis de Bruxelles… La campagne 2007 aura donc lieu, comme en 2006, sans aucune règle. La France, malgré son code de “bonnes pratiques”, n’est guère mieux lotie.
Marché espagnol, marché français
Les filières longues import/export en agroalimentaire ont leur logique... que la raison ignore parfois. C’est ainsi qu’une entreprise espagnole livre du maïs non GM en France, de surcroît pour l’alimentation animale, alors que 98% du maïs produit en France est non GM. C’est ainsi aussi que, bien que la France importe massivement du maïs GM américain pour l’alimentation animale, elle n’arrive pas à écouler sur son propre marché ses quelques tonnes de maïs GM. Toute la production française des 5000 hectares de maïs GM de l’an dernier a donc été exportée en Espagne. Car avec le développement de l’élevage industriel espagnol, notamment en Catalogne et Aragón, l’Espagne est largement déficitaire en maïs. Une partie des importations espagnoles revient en France sous forme de produits transformés, non étiquetés GM, issus de produits animaux (viande porcine notamment).
Et l’agriculture biologique ? Les agriculteurs bios espagnols tentent de ne pas se décourager, mais selon les zones, il devient difficile de produire du maïs bio. Selon Amaya Prat, du Conseil catalan de la Production agricole écologique (CCPAE) [16], il ne resterait que 12 hectares de maïs bio certifié dans toute la Catalogne. Depuis 2005, l’ensemble de cette maigre production est analysée chaque année, et déclassée si elle contient plus de 0,1% d’OGM. Ce fut le cas, on l’a vu, pour Enric Navarro en 2005. En 2006, Enric a ressemé 2220 m2, issu du même sac de semences qu’en 2005, puisque les analyses avaient certifié à deux reprises qu’elles étaient indemnes d’OGM. En octobre 2006, le CCPAE est revenu prendre des échantillons et cette fois-ci, les résultats se sont avérés négatifs. Avril 2007 : persévérant, Enric a voulu ressemer du maïs, mais cette fois-ci, à partir d’une semence locale et bio, également certifiée par le CCPAE. La variété “Del queixal”, autrement dit, celle là-même pour laquelle on vient de découvrir une contamination dans le centre de Conservation de la Biodiversité Cultivée de Manresa…
Il ne fait pas de doute que la campagne 2007 verra au moins autant de maïs GM en Espagne qu’en 2006. Pour Joaquima Messeguer, de l’Irta, “les agriculteurs vont planter toujours plus de maïs Bt parce qu’il produit plus et est de meilleure qualité, puisqu’avec moins de mycotoxines”. Cependant, elle prédit aussi, en le regrettant, que les luttes anti-OGM “éviteront que ne se plante ici du maïs GM. Les importations augmenteront et évidemment, ce sera avec du maïs transgénique”.
En France, à la mi-mai, nul au ministère de l’agriculture ne peut nous dire pour l’instant si les surfaces 2007 seront proches de 50 000 hectares, comme l’annonçaient les semenciers dès février, ou resteront sous la barre des 10 000 hectares. L’élection à la présidence française du seul candidat (sur les douze) à ne pas s’être prononcé en faveur du moratoire sur les OGM va sans doute libérer les agriculteurs qui hésitaient encore à franchir le pas. Mais le mouvement d’opposition aux OGM a déjà promis de ne pas laisser faire, que ce soit via les tribunaux [17], ou par de nouvelles actions d’arrachages.