Inf’OGM - Qu’est-ce que le transhumanisme ?
PMO - Le transhumanisme est l’héritier du mouvement eugéniste du début du XXe siècle. Le mot est forgé en 1957 par Julian Huxley, frère d’Aldous, biologiste et promoteur de l’ « amélioration de l’espèce humaine » par la sélection artificielle. À l’ère des technologies convergentes (nano, bio et neuro-technologies associées à la puissance informatique), les eugénistes modernes prônent une prise en main de l’évolution par la technologie, afin de créer le posthumain. Un surhomme-machine, doté de nouvelles fonctionnalités et débarrassé des contingences naturelles (naissance, maladie, vieillesse, mort). Le transhumanisme est l’idéologie de la technocratie au pouvoir en quête de toute-puissance et de maîtrise totale. Son objectif revendiqué est de « remplacer le naturel par le planifié ». Il dispose aujourd’hui des moyens de ses ambitions, puisque les laboratoires publics et privés, les start-up et multinationales du monde entier sont en concurrence pour développer les outils de l’homme-machine : prothèses et implants électroniques, interfaces homme-machine, ingénierie génétique, etc.
Quelles sont les différences entre des lunettes et des implants neurologiques ? Où s’arrêtent les soins "classiques" et où commence l’homme augmenté ?
PMO - Pour faire accepter leur projet, les transhumanistes arguent d’une prétendue continuité. L’augmentation technologique des capacités humaines « n’est que » la poursuite de ce qu’on a toujours fait, notamment en médecine. On a entendu les mêmes sophismes à propos des OGM, qui ne « sont que » la continuité de la sélection pratiquée depuis le néolithique.
Il y a évidemment des ruptures. Chacun constate que l’automobile n’est pas la continuité de la charrette à bœufs, dans la mesure où elle a, en tant que technologie, bouleversé le monde à tous points de vue (économique, social, géopolitique, sanitaire, écologique, climatique).
Les adeptes du posthumain vantent eux-mêmes les innovations « disruptives » - celles qui font changer de nature, et non pas seulement de degré, l’intervention sur l’espèce humaine. Modifier le génome humain, mettre des implants électroniques dans le cerveau ou greffer une rétine connectée, n’est pas de même nature que l’usage de lunettes. Ce n’est pas pareil de soigner ou réparer, c’est-à-dire de maintenir un état de santé, et d’augmenter les capacités, voire d’en inventer de nouvelles, c’est-à-dire de modifier son corps en vue d’atteindre certaines performances. La rupture se situe dans la nature même du projet et de ses objectifs. Le flou vient de ce que les outils du posthumain peuvent aussi servir à soigner, et se dissimulent derrière ce prétexte. Quand vous inventez Crispr, vous espérez éradiquer le virus du sida, mais vous mettez en circulation un outil qui fait avancer la fabrique de l’humain génétiquement modifié. Aucune régulation ne peut limiter la technologie aux « bons usages », donc le bébé sur-mesure ne tardera pas à sortir des éprouvettes. Nous ne sommes jamais certains que le pire se produira, et c’est heureux. Nous nous intéressons à la direction qu’explorent les chercheurs, aux objectifs qui sont les leurs, et qui, d’une manière ou d’une autre, entraînent le monde dans un sens donné.
Vous parlez des humains comme des « chimpanzés du futur ». Pourquoi cette expression ?
PMO - L’expression vient du cybernéticien anglais Kevin Warwick. En 2002, il résumait ainsi le fond eugéniste et totalitaire du transhumanisme : vous ne serez pas obligés de vous augmenter, simplement ceux qui ne le feront pas formeront une sous-espèce, ils seront les « chimpanzés du futur ». On sait ce qu’il advient des « sous-espèces ». La fabrication de l’homme-machine, que nulle loi n’imposera, créera de facto deux espèces : les surhommes « augmentés » et les sous-hommes « diminués ». La lutte des classes cède la place à la lutte des espèces. Si vous pensez comme Aristote que l’homme est un animal politique, c’est-à-dire un être naturel construit socialement, alors le posthumain n’est plus un humain, puisqu’il réfute toute origine naturelle. La ligne de front sépare désormais les humains d’origine animale et les inhumains d’avenir machinal. Le posthumain n’est pas un humain, c’est un homme-machine, un artefact, une fabrication. Il rompt absolument avec sa nature animale, et le revendique d’ailleurs.
Pourquoi vous opposez-vous à ces « progrès », comme les tenants de ces technologies les nomment ?
PMO - La société transhumaniste, c’est le techno-totalitarisme où les puissants, « augmentés », se débarrassent des inférieurs, les superflus. Le progrès technologique n’est pas synonyme de progrès social et humain, mais plutôt de l’inverse : de regrès social et humain, selon un ancien mot de français.
Nous sommes atrocement conservateurs, attachés à notre appartenance au règne animal et à la spécificité humaine dans l’histoire naturelle : la capacité d’articuler une pensée complexe, le langage, le monde symbolique. Pire, nous aimons cette vie d’humains confrontés, tant que c’est encore possible, au hasard et à l’imprévu, et capables d’initiatives. Les transhumanistes, par leur volonté de maîtrise totale, veulent abolir la possibilité que quelque chose arrive. Éliminer la naissance en fabriquant des enfants à la carte, c’est les priver de liberté, en faire les jouets de leurs concepteurs. Du transhumanisme suintent une haine du corps et une haine de soi qui ne sont pas les nôtres. À rebours des techno-dépendants, nous défendons l’autonomie de l’individu, le développement de ses capacités propres et la recherche du meilleur en chacun, notamment par le biais de l’instruction et de l’éducation : un programme humaniste.
Est-ce que le transhumanis-me est acceptable par la population ? Est-elle au courant de ce qui se trame actuellement ?
PMO - Bien malin qui peut prédire ce qu’acceptera « la population » qui se compose de bien des gens et groupes différents. Bien sûr, les chercheurs, journalistes et militants politiques sont informés, voire engagés. Le Monde, même s’il peut ça et là publier une tribune critique, fait campagne pour le transhumanisme, avec des articles scientifiques enthousiastes et une chronique régulière offerte à Laurent Alexandre, bruyant propagandiste du posthumain. On pense également aux articles louangeurs sur le neurologue Pierre-Marie Lledo ou aux partenariats réguliers qu’il noue avec IBM sur son site (site dédié à la propagande pour la planète “intelligente”). Il y a évidemment une entreprise de pétrissage de l’opinion, qui n’est pas étrangère au CV des trois patrons du journal. Idem pour certaines émissions de Radio France, où l’on entend souvent des chercheurs français comme de nouveau Pierre-Marie Lledo, ou Miroslav Radman, spécialiste du vieillissement, afficher leur intérêt pour « l’augmentation » technologique. Ni Libé ni Le Figaro n’ont confié de rubrique régulière à un promoteur du transhumanisme.
Ce bruit acclimate sans doute à l’idée de l’homme-machine, soutenue par des décennies de décervelage postmoderne dans les « sciences humaines ». Après Foucault, Derrida, Deleuze et d’autres, sociologues et philosophes du courant « déconstructionniste » proclament la « fin de l’homme ». Ces anti-humanistes ne pouvaient que converger avec les adeptes du posthumain, à l’image du sociologue Raphaël Liogier : pour celui-ci, refuser le posthumain serait être « nationaliste », adopter une posture de « repli sur soi ».
Un discours similaire à certains idéologues « LGBT », qui, dans le sillage de la féministe Donna Haraway et de son « Cyborg Manifesto », estiment que le devenir-cyborg est le moyen de supprimer toute différence, donc toute inégalité entre les sexes.
À rebours, des oppositions existent dans divers courants de pensée, chez les décroissants, chrétiens ou athées, les écologistes, faucheurs d’OGM, luddites – et on comprend pourquoi. Par son projet d’espèce supérieure, le transhumanisme est une résurgence du nazisme en milieu scientifique. Et cette comparaison avec le nazisme ne s’appuie pas sur la question générale de l’eugénisme, qui a aussi été organisé dans les démocraties européennes. La dernière fois qu’un projet politique portait explicitement – avec des conséquences concrètes - l’idée de création d’une race supérieure (la “race des Seigneurs”), c’était dans l’Allemagne nazie. La rhétorique hitlérienne est pleine de l’Homme supérieur et de la volonté d’élimination des inférieurs. On ne saurait mieux résumer le projet transhumaniste.
Ainsi, il ne s’agit plus de débattre ou de chercher une impossible « régulation », mais de combattre ce projet comme on combat tout ennemi totalitaire.