Argentine, Brésil, Chili, Paraguay et Uruguay ont signé une déclaration sur les techniques qu’ils nomment d’« édition de gènes » en septembre 2018 [2], durant la réunion du Conseil agricole du Sud (CAS), instance de coordination entre ces cinq pays. Ce document indique que les produits générés avec l’« édition de gènes » ne devraient pas être considérés comme différents de ceux obtenus par amélioration ou croisement traditionnels. Inf’OGM a déjà indiqué pourquoi le terme « édition de gènes » était impropre [3].
Lors d’une réunion de l’OMC à Genève le 2 novembre 2018, une quinzaine de pays [4] (dont neuf d’Amérique latine) ont plaidé pour une harmonisation de la législation internationale allant dans le sens de cette dérégulation. Puis le 15 mars 2019, l’Argentine a transmis officiellement la position [5] du CAS au Comité des mesures sanitaires et phytosanitaires de l’OMC.
L’Argentine, pionnière de la déréglementation
L’Argentine se glorifie d’être l’un des premiers pays à avoir réglementé (ou plutôt dé-réglementé) les « nouveaux OGM », c’est-à-dire ceux qui ne sont pas issus des techniques « classiques » de transgenèse ou de mutagénèse in vivo… Depuis 2015, l’Argentine considère (résolution 173/15) [6] que les produits issus des « nouvelles techniques d’amélioration qui utilisent les techniques de biotechnologie moderne » ne sont pas des OGM s’il ne subsiste aucun des éventuels transgènes utilisés lors de l’obtention de la nouvelle plante. Une commission spéciale de Biotechnologies, la Conabia, qui dépend du ministère de l’Agriculture, dit vérifier (comment ?) chaque dossier déposé par les obtenteurs.
Depuis 2016, date d’entrée en vigueur de la résolution sur les nouvelles techniques, 16 produits de cette catégorie ont été approuvés par la Conabia [7]. Dont le tilapia FLT01 [8], une espèce de poisson de l’entreprise étasunienne Aquabounty Technologies (filiale d’Intrexon [9]).
Inf’OGM a cherché à se procurer la liste de ces produits, mais la coordination générale de biotechnologie du ministère de l’Agriculture répond qu’il « n’existe pas en Argentine de liste des produits mutés, puisqu’ils ne sont pas régulés comme des OGM (…) donc nous n’avons aucun besoin d’un registre spécifique de produits mutés ». « Et donc, pour l’exportation ? », a voulu savoir Inf’OGM : « aucune démarche particulière quand il s’agit d’exporter vers l’UE », nous a confirmé le ministère.
De même au Chili, les autorités du ministère de l’Agriculture considèrent ces nouvelles techniques au cas par cas, avec comme principal critère « la présence ou non d’une combinaison d’un nouveau matériel génétique » [10].
Interrogé par Inf’OGM, Miguel Á. Sánchez, directeur de ChileBio, qui gère les nouveaux OGM au ministère de l’Agriculture, nous confie : « je n’ai pas l’information officielle de combien de produits ont été considérés non OGM avec cette procédure (et donc exemptés de la réglementation OGM). Cependant, d’après mes informations, il n’y aurait encore au Chili aucune production commerciale de produits dérives de ces techniques ».
Le Brésil est aussi sur la même ligne, avec des techniques nommées « techniques innovantes d’amélioration de la précision » (voir encadré ci-dessous).
Brésil : exemption d’analyses pour les « nouveaux OGM »
Par Leonardo Melgarejo, Gabriel Bianconi Fernandes et Naiara Bittencourt, Université de Santa Catarina
Les nouvelles techniques, ou « techniques innovantes d’amélioration de la précision » (TIMP) impliquent des modifications des règles juridiques. La Résolution normative 16 du CTNBio (RN161) permet une exemption d’analyse de risque dans des organismes génétiquement modifiés par les nouvelles techniques de transformation génétique.
Certains des effets inattendus de ces nouvelles techniques sont déjà apparus : élargissement des langues chez les lapins génétiquement modifiés, apparition d’une vertèbre supplémentaire chez les porcs, mort prématurée de veaux porteurs de gènes modifiés par CRISPR pour changer la couleur de leur pelage... Ceux-ci sont appelés « effets hors-cible ».
En 2018, toutes les demandes de dissémination d’OGM générées par les TIMP ont été autorisées par le CTNBio. L’idée dominante est donc que les nouvelles techniques d’« édition des gènes » ne donnent pas des OGM.
Jusqu’en décembre 2018, la CTNBio a exempté de l’analyse des risques deux variétés de levure destinées à la production de bioéthanol, un vaccin, deux variétés de levure Saccharomyces cerevisiae, un bovin [11] et une variété de maïs cireux [12], qui n’étaient plus des organismes génétiquement modifiés conformément à la RN 16/2018 et à la loi 11.105/2005. La possibilité d’un vide réglementaire ouvre la voie aux litiges juridiques et à la confrontation avec la position adoptée par la Communauté européenne [13].
L’IATP, une ONG étasunienne spécialisée dans les politiques agricoles, a décortiqué la partie concernant les « biotechnologies modernes » dans le nouvel accord commercial (ex ALENA) redéfini par le gouvernement Trump en 2018 entre le Mexique, les États-Unis et le Canada.
Le nouvel accord de libre échange Mexique, États-Unis, Canada
Dans le système américain (qui est celui imposé dans le nouvel ALENA), peu importe le degré de modification génétique dans un produit. Ce qui compte, c’est l’équivalence en substance. L’ALENA légalise les nouvelles technologies de modification génétique.
Le texte de l’accord ajoute qu’ « un État Partie n’est pas obligé de demander une autorisation pour qu’un produit de biotechnologie agricole soit mis sur le marché ». Deux interprétations possibles : les pays membres de l’ALENA ne sont pas tenus d’autoriser de telles cultures sur le marché ; ou bien, une autorisation n’est pas requise (sur la base d’une évaluation de la sécurité avant la commercialisation), pour commercialiser des cultures génétiquement modifiées... D’après l’IATP, il est probable que la deuxième interprétation s’impose.
Le traité introduit le concept de « faible niveau de produits non autorisés », notion nouvelle dans un traité bilatéral, défendue par l’Alliance globale du commerce des biotechnologies (connue sous le sigle anglais de GAABT). Il est défini comme des produits « qui peuvent parfois être présents par inadvertance dans des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux dans les pays importateurs, dans lesquels la sécurité alimentaire de la plante dérivée de l’ADN recombinant concerné n’a pas été déterminée ». Le traité légalise donc l’importation d’OGM, même quand leur mise sur le marché n’a pas été autorisée dans le pays importateur.
La notion d’« inadvertance » n’est pas définie dans ce texte, pas plus que ne le sont les seuils ou les méthodes de détection... Ces flous augurent de nouveaux conflits entre pays membres. Et comment le nouvel ALENA déciderait-il d’un différend pour violation de ces « faibles niveaux » de contamination si l’entité exportatrice et l’importateur appartenaient à la même société mère, par exemple avec une exportation de Cargill North American vers Cargill Latin America ?
Malgré ces flous, l’USDA (ministère de l’Agriculture des États-Unis) affirme que ce nouveau traité pourrait servir de base pour d’autres Traités commerciaux.