Sur son site internet, le Cirad se présente comme est un organisme remplissant un service public de nature commerciale et industrielle. Placé sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation et du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, il travaille dans le domaine « des sciences du vivant, des sciences sociales et des sciences de l’ingénieur appliquées à l’agriculture, à l’alimentation, à l’environnement et à la gestion des territoires [...] autour de grandes thématiques telles que la sécurité alimentaire, le changement climatique, la gestion des ressources naturelles, la réduction des inégalités et la lutte contre la pauvreté » [1]. Le 1er septembre, le Cirad a publié un article présentant son « Positionnement (...) sur les nouvelles technologies d’édition du génome » [2].
« Explorer les bénéfices potentiels, […] analyser leurs limites »
Le Cirad considère devoir utiliser les nouvelles techniques de modification génétique. Sa mission et sa responsabilité sont, à lire sa note de position, « d’explorer les bénéfices potentiels des technologies d’édition du génome au service de l’amélioration variétale des plantes mais également d’analyser leurs limites et de caractériser les risques sanitaires, environnementaux ou socio-économiques éventuels des produits dérivés et résultant des modes d’utilisation de ces produits ». Remplissant une fonction d’expertise pour ses partenaires, le Cirad estime donc obligatoire qu’une partie de ses chercheurs travaillent à maîtriser ce qu’il nomme « les dernières avancées technologiques ». La note de positionnement souligne qu’il « serait inconséquent de laisser cette possibilité aux seuls acteurs publics et privés étrangers et de démunir la France d’une capacité d’expertise, indispensable à toute action publique sur les plans politique, réglementaire, économique et environnemental ».
Le Cirad souhaite donc utiliser ces nouvelles techniques car il considère qu’elles permettent d’étudier « la variabilité génétique » ainsi que tout ce qui concerne « la fonction, la régulation et l’évolution des gènes ». À ce choix qui lui permettrait d’« améliorer ses connaissances et sa compréhension du vivant », le Cirad ajoute une touche de prudence puisque n’ignorant pas certains risques associés à ces techniques. Il écrit ainsi que sa liberté de recherche « doit aussi s’accompagner d’une attention permanente et soutenue sur les risques potentiels d’une appropriation des ressources génétiques que peuvent permettre ces technologies ». Prudence qui s’explique par le constat du Cirad que « la possibilité de reproduire, sans trace, des séquences géniques sans avoir recours à du matériel biologique, permettrait de contourner les règlementations actuelles établies sur la reconnaissance des droits de propriétés intellectuelles, sur le partage des avantages et sur les OGM au niveau européen ». Sans traçabilité permettant de distinguer ou de prouver l’origine d’une information génétique, il est en effet impossible de rejeter des poursuites abusives en contrefaçon [3], de revendiquer un partage équitable des avantages [4] ou de prouver qu’il s’agit d’un OGM.
Or le Cirad rappelle que « si le régime de propriété intellectuelle des variétés végétales venait à évoluer, il défendra les valeurs associées au [certificat d’obtention végétale] et à la non brevetabilité des plantes issues d’édition du génome ». Car, rappelle-t-il, le Cirad n’a pas pour logique politique de breveter le vivant « même si une forte pression s’exerce auprès des autorités publiques, notamment de la part de certains grands opérateurs économiques ». Il annonce donc qu’il se montrera vigilant à ce que le système du certificat d’obtention végétale ne disparaisse pas à cause de l’utilisation des « techniques d’édition du génome ». Car, selon cet organisme, une utilisation trop large de ces techniques conjuguée à « un contexte de brevetabilité des gènes » conduirait à de trop nombreuses modifications génétiques qui « rendraient de facto impossible la réutilisation de variétés commerciales par le Cirad et ses partenaires dans leurs propres programmes d’amélioration variétale ».
Quelles plantes seraient concernées ?
Le Cirad ne donne pas d’exemple concret des plantes qui pourraient faire l’objet de modification génétique par des « techniques d’édition du génome ». Il détaille néanmoins que « les caractères et les espèces cibles seront choisis dans un objectif de bien commun, pour des usages et des systèmes de production s’inscrivant dans une logique de durabilité environnementale, économique et sociale ». L’approche par croisements, décrite comme vertueuse par le Cirad, est considérée comme facilement envisageable pour des plantes « dont la biologie de la reproduction permet de mettre en œuvre des schémas d’amélioration à un coût raisonnable ». Mais le Cirad considère que travailler seulement par croisement est une approche qui « atteint ses limites pour les cultures pour lesquelles ce coût serait trop important, en particulier du fait de la longueur de leur cycle de reproduction ». Pour de telles cultures, il est donc envisagé d’utiliser « des technologies de l’édition du génome pour modifier directement celui-ci ». Et face à ce que le Cirad présente comme une possible tentation pour certains de ses partenaires hors Union européenne de ne pas passer par une étape d’expérimentation au champs, il annonce qu’il sera « très attentif au libellé des conventions de collaboration, en particulier dans un contexte multi-partenarial ».
Pour ses projets de recherche utilisant les nouvelles techniques de modification génétique, le Cirad prévoit de mettre en place un comité interne d’experts. Ce comité aura pour rôle d’évaluer si tel ou tel essai en champ de nouveaux OGM est justifié au regard des intérêts d’évaluation « agronomique, technologique et environnementale ». Surtout, ce comité, dont la composition reste à définir, « évaluera l’opportunité d’utiliser les technologies d’édition du génome par rapport aux méthodes alternatives ainsi que la contribution potentielle des innovations variétales envisagées à la transition agroécologique ».
Un souci de vocabulaire ?
La note de positionnement du Cirad se distingue notamment par le vocabulaire utilisé. Pour évoquer les nouvelles techniques de modification génétique, il parle de « nouvelles techniques d’amélioration des plantes », « nouvelles technologies d’édition du génome », « technologies d’édition du génome en amélioration des plantes », « biotechnologies existantes » ou encore de « nouvelles techniques d’amélioration génétique ». Ce faisant, le Cirad adopte un vocabulaire scientifique (d’origine anglophone) dont les acteurs pro-OGM se sont saisis à des fins politiques. L’objectif de ces acteurs est notamment de suggérer que les produits ne sont pas des OGM en les nommant autrement.
Interrogé sur les implications politiques de ce vocabulaire, Jean-Louis Noyer, directeur adjoint du département scientifique Systèmes biologiques du Cirad, réfute toute visée politique, expliquant que le rôle du Cirad n’est pas d’influer sur d’éventuelles évolutions législatives et qu’il n’en a donc ni la volonté ni la vocation. Le vocabulaire utilisé est, nous a-t-il détaillé, celui adopté depuis une saisine du Comité d’Éthique commun au Cirad, à l’Ifremer et à l’Inra en 2016. Après quatre années de travail en interne, le Cirad a conservé la même terminologie par souci de cohérence entre les différentes notes, une terminologie scientifique et non politique.
Il n’en demeure pas moins qu’en juillet 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a bien défini les organismes modifiés par de nouvelles techniques de mutagénèse comme donnant des OGM, c’est-à-dire des produits devant être soumis aux requis de la législation européenne sur les OGM. Dans ces conditions, le même vocabulaire scientifique utilisé par le Cirad n’est pas dénué de stratégie politique quand il est dans la bouche d’acteurs pro-OGM.