Après avoir découverte des colzas transgéniques en février 2022 [1], Inf’OGM a alerté le ministère de l’Agriculture qui a alors saisi l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) pour qu’elle mène une expertise [2] [3]. Le vendredi 20 janvier 2023, l’Anses publiait son avis [4].
Tout d’abord, l’avis de l’Anses nous apprend que « les services de contrôle du Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ont réalisé des prélèvements le 19 puis le 29 avril 2022, analysés par le laboratoire BioGEVES [...]. Ces analyses sont venues confirmer la présence de colza génétiquement modifié dans l’environnement précité ». En effet, sur 16 échantillons prélevés dans la zone portuaire de Rouen, 14 se sont avérés être positifs. L’avis précise également qu’ « en conséquence, début mai 2022, une destruction des plants de colza par voie mécanique (fauchage, débroussaillage) a été demandée par la DGAl à l’établissement public HAROPA Port, en charge de l’entretien de la zone industrialo-portuaire (hors sites industriels). Il était prévu de réitérer cette opération tous les mois, pour éviter que les repousses éventuelles ne fleurissent et pour qu’elles ne produisent pas de pollen ni de graines qui pourraient germer à terme ».
Nous constatons à la lecture de cet avis que le ministère de l’Agriculture et l’Anses ne se sont intéressés qu’à la zone portuaire de Rouen alors qu’Inf’OGM avait précisé avoir découvert des colza transgéniques à Sète.
L’avis de l’Anses souligne que « les procédures internes mises en œuvre par l’opérateur [Saipol, NDLR] ne permettent pas de respecter le plan de surveillance prévu dans le cadre de l’autorisation de ces colzas GM, et d’éviter la dissémination de graines et la présence de plants de colza GM ».
L’Anses conclut qu’il faut renforcer « les plans de surveillance des effets environnementaux afin de les rendre plus précis et plus exigeants » et disposer d’une meilleure cartographie des zones à risque. En effet, l’Anses précise que les ports ne sont pas les seuls hotspots et qu’il faut donc aussi surveiller « les sites industriels de stockage ou de transformation de graines GM [et] les lignes ferroviaires, voies fluviales et routes permettant le transport des marchandises entre les lieux précités ». Comme l’Anses le précise sur son site [5], « c’est le titulaire de l’autorisation et les opérateurs manipulant ces produits qui sont chargés [d’appliquer le plan de surveillance] pour prévenir tout risque environnemental lié à sa dissémination. Pour le cas du colza GM particulièrement volatile, le plan de surveillance consiste notamment à la mise en place de procédures pour limiter les pertes et déversements de graines et à l’éradication systématique des plants présents au niveau des sites de déchargement et de transformation. Suite à son expertise, l’Agence souligne que ces plans de surveillance comportent des lacunes, notamment sur la surveillance de l’environnement en dehors des sites des opérateurs concernés ».
Retour sur une contamination prévisible
En février 2022, avec l’équipe de tournage de l’émission « Sur le front », nous étions à Rouen, près de l’usine Saipol (Groupe Avril), qui importe du colza (en partie transgénique) pour produire des agrocarburants. Au bord de la route, nous avions aperçu du colza féral et, après analyse par un laboratoire accrédité, ce colza s’est révélé être transgénique. Nous avions alors relaté cette découverte dans l’émission, et dans un article publié sur notre site Internet. Nous n’avons pas été surpris par ce résultat. Certes, nous n’avions récolté que quelques plants, mais le colza est connu pour se disséminer très facilement et pouvoir repousser pendant dix ans (dormance). Les scientifiques, français ou britanniques, dès la fin des années 90, avaient alerté sur l’extrême difficulté à gérer une coexistence entre deux filières colza OGM et non-OGM [6] [7] [8]. Ainsi, limiter voire empêcher la contamination est une vraie gageure, encore faut-il qu’il y ait une volonté claire de la limiter…
Le colza transgénique : une plante impossible à contenir
Le principal problème avec le colza transgénique est que sa ségrégation est tout à fait impossible, et c’est d’ailleurs pour cette raison que les gouvernements européens ont interdit sa culture à la fin des années 90. Le colza peut rester en terre (en dormance) de nombreuses années avant de se réveiller et grandir. Ainsi, l’Anses explique dans son rapport : « l’observation de plants de colzas GM au printemps 2022 qui pourraient ne pas être uniquement des plantes de 1ère génération issues de la germination des graines dispersées fortuitement mais également des plantes de générations ultérieures après reproduction ».
Par ailleurs, le colza peut se croiser avec des plantes sauvages comme la ravenelle, la moutarde, etc. Le colza fait partie d’une famille botanique très présente sur le sol européen. Ces données sont confirmées à nouveau dans cet avis de l’Anses.
Or, précisons que ce colza transgénique détecté (mais aussi les autres colza OGM issus de la mutagenèse, voir encadré ci-dessous) avait été génétiquement modifié pour tolérer des herbicides. Or, un large consensus scientifique a démontré que l’utilisation de variétés rendues tolérantes à un herbicide (VrTH) entraînait une augmentation de la quantité d’herbicide pulvérisée. Faire des agro-carburants avec des colza venus du bout du monde dont la culture engendre une hausse de la quantité d’herbicide est pour le moins curieux… Les herbicides comme les transports maritimes ont des impacts très importants en matière de changement climatique.
Ce résultat positif nous a mis la puce à l’oreille. Si ces quelques plants sont transgéniques, cela pourrait être le signe d’une présence importante de colza transgénique dans l’environnement, à Rouen mais aussi aux abords des autres usines Saipol. Inf’OGM a alors lancé un appel à don pour pouvoir mener une enquête plus large. Nous avions récolté de quoi faire quelques prélèvements et analyses, mais pas suffisamment pour être exhaustifs et faire autant de prélèvement que nous aurions voulu. Cependant le peu que nous avons pu faire montre que du colza transgénique pousse bel et bien sur le territoire français et que les autorités semblent avoir bien du mal à résorber ce problème.
Nous avons récolté des colza féraux à Bassens (Gironde), à Sète (Hérault), dans la région de Mulhouse (Haut Rhin), à Dieppe et à Rouen (Seine-Maritime) aux voisinages des usines de Saipol.
La première information importante est donc que partout autour des usines de trituration de colza poussent des colza féraux. Comme nous l’avons déjà noté à plusieurs reprises, le colza est une espèce végétale qui se disperse facilement, qui s’implante facilement.
A Mulhouse, Dieppe et Bassens, nos prélèvements ne se sont pas révélés positifs. Précisons tout de suite que, faute de moyens suffisants, nous n’avons pas pu mener la campagne de détection que nous souhaitions. Mulhouse nous intéressait particulièrement. En effet, à plusieurs reprises, à quelques kilomètres de ce port sur le Rhin, à Bâle (Suisse), des colza transgéniques avaient été identifiés par des chercheurs [9].
En revanche, à Sète, ville portuaire au bord de la Méditerranée, nous avons identifié plusieurs colza transgéniques. Comme à Rouen, une partie de sa production est dédiée aux agro-carburants. Les agro-carburants d’origine transgénique ne sont pas étiquetés car l’étiquetage des OGM ne concerne que les produits alimentaires. Le ministère de l’Agriculture a-t-il pris le temps d’aller voir auprès des autres usines Saipol si des colzas transgéniques poussaient aux abords de l’usine ? Impossible de le savoir. Le ministère n’a jamais répondu à nos questions sur l’action précise qu’il a mené.
Malgré l’action du ministère, du colza transgénique retrouvé 5 mois après
Le plus inquiétant reste la découverte, en juillet 2022, de nouveaux plants de colza transgénique à Rouen. En effet, les responsables de Saipol nous avaient précisé que notre « découverte » était anecdotique et le directeur de la communication de Saipol, Fabien Kay, nous avait précisé, le 13 avril 2022, que « les procédures mises en place prévoient de nettoyer quotidiennement les graines au sol dans la zone de déchargement et de détruire les repousses de colza de la zone afin de prévenir et d’empêcher toute dissémination potentielle. Les prélèvements que vous avez réalisés ont certainement eu lieu avant cette phase de nettoyage ». Hélas, dès juillet nous en retrouvions !
Quant au ministère de l’Agriculture, il nous avait répondu le 20 avril 2022 : « Des prélèvements ont d’ores et déjà été réalisés par les services de contrôle du ministère sur des plantes de colza dans la zone où la détection d’OGM a été signalée. Les prélèvements ont été transmis à un laboratoire national de référence pour la détection des OGM. Si les analyses confirment la présence de plants OGM, la destruction de tous les plants de colza présents dans la zone sera réalisée et un suivi des repousses sera mis en place sur plusieurs années. Les services locaux sont en train de s’organiser pour cette destruction ».
Ces deux entités avaient donc en théorie tout mis en œuvre pour éviter la présence de colza transgénique. Nous nous interrogeons sérieusement sur leurs actions, qui se sont avérées inefficaces. Cette interrogation était plus que légitime. En effet, l’Anses « conclut qu’une éradication des plants par fauchage ou débroussaillage mécanique n’est pas appropriée. [Elle] demande la mise en œuvre d’un arrachage manuel, ou de toute autre méthode permettant une destruction complète des plants et de leurs racines, à un intervalle régulier permettant d’anticiper la floraison de ces plants ».
Le colza : une production délocalisée ?
La baisse de la production nationale de colza a vraiment débuté en 2018. Les importations étaient donc assez faibles, autour de 17 % (872 000 tonnes lors de campagne 2017-2018 pour une production de 5,1 millions de tonnes)… [10]. Peu à peu les quantités importées ont augmenté. Hémeline Macret, du cabinet d’études agro-économiques Tallage, nous informe que « la France a importé, entre juillet 2020 et juin 2021, 1,7 million de tonnes de colza », en provenance du Canada, d’Australie et d’Ukraine.
Dans son avis, l’Anses note que « les volumes de graines de colza GM importées par l’usine Saipol ont augmenté depuis 2016 », mais que Saipol a refusé de rendre publique les informations, demandant qu’elles soient « couvertes par le secret des affaires ». Cependant Saipol précise sur son site qu’en 2021, 53 % du colza que cette entreprise transformait provenait des champs français, 47 % d’importation [11]. Autre information concernant ces importations de colza transgénique : « D’après les données transmises par la DGAl, entre janvier 2021 et juillet 2022, 4 navires de graines de colza GM ont été déchargés au niveau du second terminal portuaire : 2 en mars 2021, 1 en février 2022 et 1 en juillet 2022 ». Encore une fois, ces données ne concernent que le port de Rouen... Information partielle donc.
La présence de colza transgénique est sans doute trop faible actuellement pour inquiéter les pouvoirs publics. L’Anses, elle-même, considère « qu’un éventuel flux de gène par le pollen ne pourrait aboutir qu’à un taux de contamination extrêmement faible étant donné les différences en termes de nombre de plantes entre la source de pollen (plantes GM au niveau de la zone industrialo-portuaire de Rouen - Grand-Couronne) et les parcelles cultivées en colza ». Cependant, les différentes préconisations de l’Anses, comme une surveillance sur dix ans, ou sur dix kilomètres, montrent que cette contamination pourrait devenir problématique. Les champs de colza les plus proches de l’usine Saipol sont situés entre un et cinq kilomètres, ce qui est « compatibles avec un flux de gènes par le pollen ».
L’avis de l’Anses va dans le bon sens pour éviter la dissémination sur le territoire d’une plante transgénique. Cependant, le ministère de l’Agriculture prendra-t-il ces recommandations au sérieux et les mettra-t-il effectivement en œuvre ? Ceci plaide pour qu’Inf’OGM mène de nouvelles campagnes pour s’assurer de l’application concrète de ces mesures…
Du colza OGM non transgénique illégalement cultivé en France
Le colza transgénique découvert en France par Inf’OGM ne doit pas masquer les importantes cultures illégales de colza OGM non transgéniques. La France ne respecte par les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (2018) et du Conseil d’État (2020). Ces deux cours ont clairement affirmé que les plantes obtenues par une technique de mutagenèse sans historique d’utilisation sans risque devaient être réglementées comme les OGM transgéniques. Le Conseil d’État est relativement clair : la technique de mutagénèse dite « dirigée » et la technique de mutagénèse dite « aléatoire » - appliquée sur des cultures cellulaires in vitro - sont soumises à la réglementation OGM. Or, en France, du colza rendu tolérant à un herbicide par une technique récente de mutagenèse (la mutagenèse aléatoire in vitro) est cultivé en toute illégalité.
Précisons qu’en mai 2020, le gouvernement français avait notifié à la Commission européenne deux arrêtés. Le premier liste 96 variétés enregistrées au catalogue européen par d’autres pays que la France et « issues de mutagénèse aléatoire in vitro consistant à soumettre des cellules végétales cultivées in vitro à des agents mutagènes chimiques ou physiques ». Pour ces variétés, le gouvernement indique qu’elles « seront interdites à la commercialisation et à la mise en culture en France, faute d’avoir été évaluées et autorisées au titre de la réglementation relative aux OGM ». Le second annule l’inscription de sept d’entre-elles sur une liste du catalogue français concernant des variétés dont les semences destinées à la mise sur le marché en-dehors de l’Union européenne peuvent être multipliées sur le territoire français. Malheureusement, ces deux arrêtés n’ont jamais été adoptés formellement. Le gouvernement se cache derrière l’inaction de la Commission européenne et en devient donc complice.