La Commission européenne a fait, en juillet 2023, une proposition qui vise à déréglementer les OGM/NTG (Nouvelles Techniques Génomiques). Alors que la directive 2001/18/CEE sur les OGM requiert une évaluation des risques, une méthode de détection, des étiquettes sur les produits et un suivi post-commercialisation, le nouveau règlement ne garderait qu’un étiquetage des seules semences pour la plupart des plantes issues de NTG1. Cette proposition est discutée en ce moment au Parlement européen à marche forcée [1] . Plusieurs amendements sont proposés, notamment par la commission « environnement ».
Certains amendements font grincer les dents des partisans de l’agriculture biologique. C’est le cas de celui de Jessica Polfjärd, rapporteuse du PPE, qui vise à permettre l’utilisation des OGM/NTG1 dans l’agriculture biologique (article 5(2)) [2]. Dans un communiqué de presse du 19 octobre, l’Ifoam Organics Europe s’y oppose fermement [3].
Impact des amendements proposés
Autoriser l’utilisation des OGM/NTG à l’ensemble des acteurs de la filière biologique reviendrait à compromettre l’intégrité de celle-ci. C’est le risque que soulignait déjà l’Ifoam en juin 2023 [4]. Un tel revirement entrerait notamment en conflit avec le principe de précaution et les attentes des consommateurs envers des produits biologiques exempts d’OGM. Qu’ils soient transgéniques ou issus de NTG. D’autant que la plupart des NTG sont aussi transgéniques.
Dans sa proposition d’amendement, la rapporteuse Polfjärd propose également de supprimer l’obligation d’étiqueter les semences et de garantir leur traçabilité (Article 10). Cette disposition a pourtant l‘avantage d’imposer une transparence au niveau de la sélection des semences et la possibilité de tracer les OGM/NTG. Outre l’aubaine pour les multinationales de la semence [5], supprimer l’exigence d’étiquetage et de traçabilité empêcherait tout simplement les consommateurs de choisir de se nourrir avec ou sans OGM, que ce soit en filière bio ou « conventionnelle ».
Interdire les OGM/NTG dans la filière biologique...
Les représentants de l’Ifoam, Jan Plagge et Eduardo Cuoco, demandent la conservation des articles originels de la proposition de règlement. Ces personnes soulignent aussi l’importance de préserver la confiance des consommateurs et la nécessité d’une traçabilité et d’un étiquetage clair des semences. L’Ifoam affirme qu’une décision politique en ce sens - empêchant la suppression de ces articles - est cruciale pour soutenir la croissance continue de l’agriculture biologique en Europe et répondre aux principes de précaution et de durabilité dans la production alimentaire.
L’Ifoam juge que des mesures légales et techniques appropriées de coexistence entre l’agriculture bio et la filière « sans OGM » doivent être mises en place pour garantir la liberté de choix et le droit des opérateurs biologiques de produire sans utiliser les OGM/NTG. L’organisation précise que ces mesures devraient être intégrées dans la réglementation sur les NTG plutôt que dans la réglementation sur les produits biologiques (2018/848/EE), qui est un texte différent. Les intégrer dans le règlement « bio » pourrait en effet rouvrir la porte à des modifications non souhaitées et d’autres aspects du règlement négociés de longue date.
... lorsque des scientifiques plébiscitent les « OGM bio » !
Selon certains scientifiques, dire que les « nouveaux OGM » vont faire augmenter les intrants chimiques est un « mensonge ». Cette position a été émise dans le cadre d’une tribune du journal Le Monde du 30 octobre sur « les techniques d’édition du génome » [6]. Elle émane d’une vingtaine de scientifiques du CNRS, de l’Inrae et du CEA [7] et organise sciemment la confusion. Elle assimile sélection massale [8], paysanne ou conventionnelle, aux OGM, notamment lorsqu’elle parle des « anciens OGM produits par 9000 ans d’agriculture »… Ce discours erroné n’est malheureusement pas nouveau. Depuis vingt ans des scientifiques tentent de faire oublier la rupture fondamentale entre une mutation par des phénomènes naturels, dont la puissance est rendue des millions de fois plus violents, mais sur une plante entière, et une mutation produite sur des cellules isolées cultivées in vitro. Aucune différence pour les signataires, l’une ou l’autre ne représente pas plus de risques…
La tribune vante par ailleurs la « précision » des nouvelles techniques de modification génétique. Or, d’autres scientifiques dénoncent cet abus de langage et soulignent la fragilité et le risque inhérents à ces techniques. Par exemple, l’utilisation de CRISPR/Cas9 « peut modifier l’information génétique au-delà de l’effet recherché car le déclenchement et l’inhibition de cet outil ne sont pas parfaitement contrôlés », comme le déclare le Yves Bertheau, ancien directeur de recherche Inrae [9]. Il aurait été dès lors plus rigoureux de rappeler dans cette tribune l’existence de cette controverse.
Les scientifiques de la tribune poursuivent en dénonçant « la peur infondée suscitée par l’idée que ces plantes augmenteraient l’utilisation de produits chimiques, soulignant qu’il s’agit d’une fausse affirmation ». Ces personnes ne s’embarrassent pas d’expliquer en quoi cette affirmation est fausse, ce qui est contraire à une approche déontologique et scientifique. Ces « nouveaux OGM » sont en effet bien des OGM et ils en ont les propriétés. Les OGM/NTG sont rendus, par modifications génétiques, tolérants à des pesticides, notamment des herbicides, ce qui par principe implique l’utilisation d’intrants chimiques... Or, comme ce fut le cas pour les OGM transgéniques, les ravageurs et les adventices s’adapteront à de telles conditions de traitement et développeront des résistances [10]. Une augmentation des intrants chimiques sera alors nécessaire.
La conclusion de la tribune a la vertu d’être claire et résonne curieusement avec l’amendement proposé quelques jours plus tôt : « ces nouvelles variétés [les OGM/NTG] seront plus adaptées aux pratiques de l’agriculture raisonnée ou de l’agriculture biologique que celles utilisées jusque-là et dépendantes des produits phytosanitaires. Vivement qu’arrivent dans nos champs, nos jardins et nos assiettes, les nouveaux OGM bio ! ». On relèvera dans un premier temps l’oxymore... Comment comprendre en outre ces propos qui opposent les pratiques de l’« agriculture raisonnée » à celles « dépendantes des produits phytosanitaires » alors que les deux utilisent des pesticides ? La proposition serait-elle d’utiliser des « pesticides bios » ? Le terme « phytosanitaire » reste un euphémisme pour des produits chimiques.
Un débat inquiétant agite donc l’Union européenne sur l’utilisation des OGM/NTG en agriculture biologique. La Commission européenne, par sa proposition de dérèglementation, suscite de fortes craintes en remettant en question le principe de précaution. A cela s’ajoute la volonté d’eurodéputés d’assouplir encore les règles et de faire accepter les OGM dans le bio, pour encore mieux les cacher. Face à cela, la filière biologique, dont les transformateurs européens [11], rejettent en bloc les OGM/NTG, soulignant le risque de compromettre l’intégrité de cette pratique agricole. En jeu : l’information et la confiance des consommateurs et l’avenir de l’agriculture biologique en Europe.