OGM - AFBV : vous avez dit rigueur scientifique ?

Inf’OGM vous propose ce texte de Christian Vélot car il explique de façon claire et didactique en quoi l’AFBV, à l’instar d’autres structures militantes telles que l’AFIS ou Agriculture & Environnement, est un acteur du débat sur les OGM, acteur non transparent et pas aussi rigoureux qu’il le prétend, acteur qui défend des positions partisanes en faveur des biotechnologies végétales.
C’est leur droit le plus absolu, mais malheureusement, ces positions ne sont pas assumées en tant que telles par l’organisation qui se présente comme neutre et scientifique. L’AFBV utilise de nombreux raccourcis que Christian Vélot dénonce. Au-delà de la polémique scientifique, l’intérêt d’un tel texte est de montrer qu’il y a des militants dans chaque camp, qu’il s’agit avant tout d’une débat de société où s’affrontent des positions et des visions de société... Autrement dit encore, il n’y a pas d’un côté les anti-OGM ou obscurantistes anti-science et de l’autre des scientifiques rigoureux et désintéressés qui apportent la Vérité et le Progrès à l’Humanité.

L’AFBV (Association Française des Biotechnologies Végétales) est une récente association qui se définit comme une organisation « dont le but est d’informer sur la réalité des biotechnologies végétales de la façon la plus crédible possible [sic] en s’appuyant sur l’expertise de ses membres et sur des travaux reconnus par la communauté scientifique ».

Elle est notamment parrainée par Claude Allègre dont l’expertise et les compétences en matière d’OGM ne sont effectivement plus à démontrer…
Parmi les valeurs et les principes mis en avant dans la charte de l’AFBV, on trouve notamment celui de « rigueur scientifique ».
Pour s’en persuader, il suffit par exemple de lire le courrier en date du 8 avril 2010, adressé par le Président de l’AFBV, Marc Fellous, aux députés ayant signé la « Charte du Comité de Soutien des Elus à l’Abeille et aux Apiculteurs », et où l’ex-président de la CGB [1] conteste notamment toute responsabilité éventuelle des OGM dans la disparition des abeilles.
M. Fellous y parle essentiellement du maïs Bt Mon810, seul maïs autorisé à la culture commerciale en Europe (et faisant l’objet d’un moratoire en France depuis début 2008). Il s’agit d’un maïs dans lequel a été introduit un gène de la bactérie du sol Bacillus thuringiensis (Bt) détenant le secret de fabrication d’une protéine insecticide qui tue spécifiquement la pyrale, papillon crépusculaire dont la chenille s’attaque à la tige du maïs. Le langage génétique étant universel, le maïs prend alors le gène de la bactérie Bt à son propre compte, le décode et fabrique lui-même la protéine insecticide tueuse de pyrale, et n’a donc plus besoin de personne pour lutter contre cet insecte ravageur. Toutes les plantes Bt sont faites sur le même modèle : il n’y a que la nature du gène provenant de la bactérie Bt (transgène) qui change.

Plantes résistantes ou plantes pesticides

Pour commencer, M. Fellous parle de « plantes résistantes à un insecte », terme totalement inapproprié puisqu’il signifie certes que la plante est insensible à l’insecte mais ne sous-entend aucune propriété négative de la plante sur l’insecte : un insecte qui vient sucer une plante qui lui est résistante repart comme il est venu. Or, dans le cas des plantes Bt, l’insecte concerné meurt : il s’agit de plantes-insecticides. Si je tue une personne qui m’agresse dans la rue, selon M. Fellous, je serai tout simplement résistant à mon agresseur… Question de rigueur scientifique sans doute.

Les insecticides produits par les plantes Bt ne sont pas les mêmes que ceux utilisés en agriculture biologique

M. Fellous écrit un peu plus loin : « Nous vous rappelons que ces protéines insecticides [celles produites par les plantes Bt] sont du même type que celles utilisées dans l’insecticide biologique Bt autorisé en Agriculture biologique ».
« Du même type » : voilà un terme sans ambiguïté digne d’une grande précision scientifique, mais néanmoins très habile de la part de M. Fellous. Il incite ainsi son correspondant (non spécialiste) à penser que les protéines Bt produites par la plante sont les mêmes que celles produites naturellement par la bactérie Bt, mais se garde bien de l’écrire en toutes lettres, et pour cause… Puisqu’elles sont différentes !
Car, ce que ne dit pas M. Fellous, c’est que le gène de la bactérie Bt introduit dans le maïs n’est pas le gène naturel mais un gène modifié (et c’est vrai dans tout processus de transgenèse, quels que soient l’organisme “donneur” et l’organisme “receveur” du transgène). En effet, même si le langage génétique est universel, un certain nombre d’informations contenues dans les gènes ne sont pas (ou sont mal) comprises d’une espèce à une autre. Il est alors nécessaire de procéder à une série de petites modifications (réalisées in vitro) du gène en question (après l’avoir extrait et purifié de l’ organisme “donneur” et avant de le réintroduire dans l’organisme “receveur”). Pour reprendre l’exemple du gène de bactérie dans le maïs, il s’agira de remplacer des petits morceaux du gène bactérien par des morceaux de gènes de plante (qui, par définition, fonctionnent dans la plante) ou par des petits morceaux de gènes de virus de plantes (qui, par définition, fonctionnent également dans la plante). Le transgène qui va être introduit in fine dans le maïs n’est donc pas le gène naturel de bactérie, mais un gène modifié, une sorte de chimère génétique construite de toutes pièces et qui, bien que constituée pour l’essentiel du gène de bactérie initial, sera en quelque sorte une juxtaposition de séquences d’ADN (de petits morceaux de chromosomes) d’origines différentes. Ce gène modifié est ce qu’on appelle, dans notre jargon, une CGA : une Construction Génétique Artificielle.
Ces modifications concernent essentiellement des portions du gène extérieures à la région codante (celle qui dicte directement la fabrication de la protéine), mais également en partie la séquence codante elle-même. Il en résulte alors des modifications de la protéine correspondante. Dans le cas des CGA des gènes Bt introduites dans les plantes, la séquence codante est tronquée jusqu’à 44%. La toxine Bt correspondante est alors « raccourcie » d’autant. Ce n’est donc plus la même protéine et ce n’est bien sûr pas sans conséquence sur ses propriétés et son activité. Prenons justement l’exemple de la protéine Bt fabriquée dans le maïs Mon810 (toxine Cry1Ab). Cette protéine est soluble alors que son homologue naturelle (fabriquée dans la bactérie Bacillus thuringiensis) est produite sous forme de cristal. Les deux protéines n’ont donc pas du tout les mêmes propriétés physicochimiques.
Et le fait que la protéine produite dans la plante soit soluble, et non cristalline, la rend active non seulement contre la pyrale, mais également contre la sésamie, un autre insecte ravageur du maïs (pour le plus grand bonheur du semencier qui fait alors d’une pierre deux coups). Alors que la protéine Cry1Ab naturelle de B. thuringiensis n’a, elle, quasiment aucun effet sur la sésamie. On a donc affaire à un nouvel insecticide à part entière — avec des nouvelles propriétés physico-chimiques, un nouveau spectre d’activité biologique — mais qui n’a fait l’objet, en tant que tel, d’aucune évaluation particulière dans le cadre des évaluations officielles au prétexte qu’il est considéré comme étant identique à celui produit par la bactérie et déjà autorisé en agriculture biologique. C’est une énorme supercherie !
M. Fellous précise dans son courrier : « En particulier, cette protéine insecticide naturelle [la protéine Cry1Ab] est sans effet nocif sur la faune utile et notamment sur les insectes auxiliaires comme les abeilles, les coccinelles ou les chrysopes ». Notons au passage que pour M. Fellous, il existe une faune inutile, conception très intéressante de la biodiversité, en particulier de la part d’un biologiste… Si M. Fellous parle effectivement de la protéine insecticide naturelle, c’est-à-dire de celle produite par la bactérie du sol Bt, il a entièrement raison : elle n’a pas d’autres effets connus que celui de tuer sa cible, la pyrale. Mais de toute évidence, il aime noyer son interlocuteur dans la confusion. En effet, il enchaîne immédiatement avec la phrase suivante : « Tous les nombreux travaux scientifiques convergent sur ce point, qu’il s’agisse des études de risques préliminaires aux essais en champ ou des récents rapports de l’AFSSA (nov 2008) et rapport Saddier au Premier ministre (oct 2008) qui n’évoquent en aucun cas les OGM comme une cause potentielle de la mortalité des abeilles ». Il s’agit donc là non plus de la protéine insecticide naturelle mais de celle produite dans la plante ! Et les références sur lesquelles s’appuie M. Fellous ne sont que des rapports qui n’engagent que leurs auteurs, et qui n’ont jamais été soumis à la moindre contre-expertise et évaluation par les pairs. Mais c’est sans doute ce que l’AFBV appelle « des travaux reconnus par la communauté scientifique ». Et chose très intéressante : il suffit, pour M. Fellous, qu’un phénomène ne soit pas évoqué dans un rapport (ici, l’effet potentiel des OGM sur la mortalité des abeilles) pour affirmer que ce phénomène n’existe pas. Ça, c’est de la science, de la vraie, comme on l’aime à l’AFBV !!

Effets toxiques de la plante Bt sur la flore

Etrangement, M. Fellous omet, en revanche, de citer tous les travaux scientifiques effectués à travers le monde par des laboratoires universitaires, et publiés (eux !) entre 2003 et 2008 dans des journaux internationaux à comité de lecture (c’est-à-dire avalisés par des pairs) et qui montrent des effets de la toxine Cry1Ab produite par le maïs Mon810 sur la faune non cible : sur le lombric (ver de terre) [2], sur le papillon monarque [3] [4], sur le papillon de nuit Spodoptera littoralis (un ravageur des plantations de coton) [5], sur des insectes qui sont eux-mêmes des ennemis naturels des insectes ravageurs des cultures, tels que la guêpe Cotesia marginiventris [6], et le coléoptère Poecilus copreus [7], sur des insectes aquatiques présents dans les ruisseaux et dans les fossés de drainage en bordure des champs [8], et sur la puce d’eau Daphnia magna [9]. De toute évidence, l’AFBV a une perception très restrictive de la communauté scientifique : elle en exclut tous les chercheurs qui effectuent, expertisent et publient des travaux qui font une mauvaise presse aux OGM…

Ne vous inquiétez pas, les américains ont joué le rôle de rats de laboratoire

Un autre exemple de la « rigueur scientifique » de l’AFBV et du niveau de pertinence de ses « experts » en matière d’OGM, nous est donné par l’intervention d’Axel Kahn, autre parrain de l’AFBV, à l’émission de France Inter « La tête au carré » du 12 mai dernier. A la question d’un auditeur relayée par l’animateur Mathieu Vidard, demandant à l’invité s’il trouve normal que les OGM végétaux ne soient pas testés plus de 90 jours sur quelques dizaines de rats, et s’il pense vraiment que des tests aussi réduits puissent assurer une innocuité raisonnable de ces produits, A. Kahn répond que « nous disposons d’un test en grandeur nature, à savoir qu’il y a 200 millions d’Américains qui mangent des OGMs depuis 10 à 20 ans et qu’aucun problème de santé n’a été recensé ». Si de tels propos avaient été tenus par Claude Allègre, nous aurions dit : « C’est normal, c’est Claude… ». Mais enfin, Axel Kahn, le généticien référent du journal de 20H ! Comment est-ce possible ? Sur quelles études sanitaires à grande échelle se base-t-il pour tenir de telles affirmations ? Et comment de telles études pourraient-elles exister dans la mesure où les Etats-Unis, qui produisent et consomment effectivement des OGM depuis plusieurs années ne séparent pas les filières agricoles ? Il est donc impossible de savoir qui consomme des OGM, à quelle dose et à quelle fréquence, et qui n’en consomme pas. Comment pourrait-on alors établir une corrélation de cause à effet entre l’apparition d’un quelconque problème sanitaire et la consommation d’OGM ? Quand on voit la difficulté qu’ont les personnes qui ont travaillé pendant 30 ans au contact de l’amiante à prouver que leurs problèmes pulmonaires sont liés à ce poison, on n’ose imaginer le mal qu’aurait un consommateur qui serait victime de problèmes sanitaires liés à la consommation d’OGM à prouver ce lien de causalité. D’autant plus que si les OGM agroalimentaires doivent causer des soucis pour la santé, ils ne feront certainement pas mourir subitement dans des cris de douleur, mais il s’agira plus vraisemblablement de problèmes chroniques qui se manifesteront sur le long terme et qui pourront donc être masqués par d’autres effets chroniques ayant des origines diverses. L’étude des éventuels effets des OGM sur la santé nécessite bien sûr un suivi systématique des animaux et/ou des individus qui en ont mangé avec des groupes contrôles d’animaux et d’individus qui n’en ont pas mangé. Et par conséquent, il est malheureusement impossible de tirer une quelconque conclusion, sur le plan sanitaire, de « l’expérience grandeur nature » des Etats-Unis. Soit A. Kahn le fait exprès, soit il ne sait pas ce qu’est un protocole d’étude toxicologique (ce que je ne saurais imaginer…). Il est d’ailleurs pour le moins surprenant qu’un scientifique qui se veut “humaniste” accepte que l’on prenne 200 millions d’Américains pour des animaux de laboratoire sans prendre plus de précaution !!

Et les gènes marqueurs de résistance à un antibiotique

Sur le site de l’AFBV, on trouve un espace réservé aux questions des internautes concernant les OGM, et auxquelles l’AFBV répond... de la façon la plus crédible possible... bien sûr. Je ne vais pas recenser ici toutes les erreurs ou dénis de connaissance que l’on peut trouver parmi ces réponses, mais je vais me contenter de la réponse à la toute première question répertoriée : « Les gènes de résistance à des antibiotiques utilisés pour créer des PGM sont-ils dangereux ? ». L’AFBV répond : « Lors de la réalisation des premières plantes transgéniques, des gènes de résistance à des antibiotiques ont été utilisés en laboratoire afin de pouvoir sélectionner les lignées transformées an appliquant un antibiotique. Chez les OGM récents, le gène codant pour l’enzyme permettant une résistance à un antibiotique donné n’est plus présent dans les plantes cultivées en champ ».
Ah bon ? Mauvaise pioche ! La pomme de terre transgénique Amflora de la société BASF, autorisée en mars dernier à la culture en Europe, contient le gène de résistance à la kanamycine, antibiotique médical dont diverses versions mutées confèrent la résistance à un autre antibiotique, l’amikacine, très utilisé, en particulier dans le traitement d’infections broncho pulmonaires et de méningites. Il en est de même pour le maïs Bt Mon863, cultivé aux Etats-unis, et autorisé en Europe à l’alimentation animale depuis 2005 et humaine depuis 2006... Je rappelle qu’aux côtés de « rigueur scientifique », parmi les valeurs et principes mis en avant dans la charte de l’AFBV, il y a aussi celui de « transparence »... No comment !

Refuser les extrémismes et les certitudes... surtout ceux des autres

Toujours parmi ces valeurs et principes dont se targue l’AFBV, on trouve également celui de « refus des certitudes et des extrémismes ».
Affirmer que les plantes-pesticides ne présentent aucun risque pour la santé des consommateurs et pour l’environnement, en dépit de toute la controverse que cette question engendre dans le monde scientifique, n’est sans doute pas une certitude.
Pour l’AFBV, être opposé à la dissémination des OGM dans les champs et dans les assiettes, notamment en raison des incertitudes scientifiques et techniques quant à leur innocuité sanitaire et environnementale, est un extrémisme. En revanche, être un fervent défenseur de ces OGM agricoles n’est en rien une attitude extrémiste : c’est tout simplement être dans l’appréciation scientifique. L’AFBV fait sans doute aussi dans la rigueur sémantique...

Que Fellous, Kahn et autres Allègre veuillent se faire les promoteurs inconditionnels des OGM tous azimuts, c’est tout à fait leur droit, mais qu’ils aient alors l’honnêteté et le courage de le dire haut et fort. Cela aura au moins le mérite de la transparence (justement !) et de définir l’AFBV comme ce qu’elle est : un regroupement d’individus qui, au nom de je ne sais quelle idéologie scientiste du « tout génétique », agissent comme groupe de pression en faveur des OGM agricoles en se masquant derrière une prétendue rigueur scientifique qu’ils bafouent à longueur de propos.

L’auteur de ce texte, Christian Vélot, est docteur en Biologie, Maître de Conférences en Génétique Moléculaire, Université Paris-Sud
Il a publié récemment un ouvrage de vulgarisation intitulé : « OGM : Tout s’explique », Ed. Goutte de Sable
Au moment de la sortie de cet ouvrage, Inf’OGM a réalisé ’un interview de Christian Vélot.

[1CGB : Commission du Génie Biomoléculaire, ex-commission française d’évaluation des OGM agricoles, et dont M. Fellous a été le dernier Président

[2ZWAHLEN et al. 2003. Effects of transgenic Bt corn litter on the earthworm Lumbricus terrestris. Molecular Ecology, 12 : 1077-1086

[3DIVELY G.P. et al. 2004. Effects on monarch butterfly larvae (Lepidoptera : Danaidae) after continuous exposure to Cry1Ab expressing corn during anthesis. Environmental Entomology, 33 : 1116-1125

[4PRASIFKA P.L. et al. 2007. Effects of Cry1Ab-expressing corn anthers on the movement of monarch butterfly larvae. Environmental Entomology, 36 : 228-233

[5DUTTON A. et al. 2005. Effects of Bt maize expressing Cry1Ab and Bt spray on Spodoptera littoralis. Entomologia Expperimentalis et Applicata, 114 : 161-169

[6VOJTECH E. et al. 2005. Effects of Bt maize on the herbivore Spodoptera littoralis (Lepidoptera : Noctuidae) and the parasitoid Cotesia marginiventris (Hymenoptera : Braconidae). Transgenic Research, 14 : 133-144

[7MEISSLE M. et al. 2005. Efftects of Bt maize-fed prey on the generalist predator Poecilus cupreus L. (Coleoptera : carabidae). Transgenic Research, 14 : 123-132

[8ROSI-MARSHALL E.J. et al. 2007. Toxins in transgenic crop byproducts may affect headwater stream ecosystems. Proceedings of the National Academy of Sciences, USA 104 : 16204-16208

[9BOHN T. et al. 2008. Reduced fitness of Daphnia magna fed a Bt-transgenic maize variety. Archives of Environmental Contamination and Toxicology, March 18