L’agriculture intensive utilise de nombreux pesticides, dont certains sont nocifs pour la survie des abeilles et autres insectes pollinisateurs. Leur déclin est avéré et pourrait vite poser des problèmes majeurs à l’agriculture mondiale. La pollinisation est en effet nécessaire à la reproduction de nombreuses plantes, et donc à l’agriculture. Au lieu d’interdire ces insecticides dangereux, une équipe coréenne tente de modifier génétiquement les abeilles pour les rendre tolérantes à plusieurs catégories d’insecticides. Cette recherche a été financée par des fonds publics, via la Rural Development Administration of Korea [2]. Ces chercheurs écrivent explicitement que « l’introduction de mutations [...] dans des gènes cibles permettrait en théorie de protéger les abeilles mellifères des effets dangereux des pesticides » [3]. Ils précisent que ces abeilles OGM sont donc « résistantes » à six insecticides de deux familles différentes, les organophosphorés et les carbamates.
L’agriculture intensive est aussi une agriculture qui a, petit à petit, augmenté la taille des élevages, les a homogénéisés et concentrés. Ces trois piliers de cette rationalisation des animaux ont de nombreux impacts, sanitaires, environnementaux ou socio-économiques. La grippe aviaire a pu se propager plus facilement du fait de cette concentration, par exemple. Ainsi, un rapport de l’Anses, publié en juin 2021, « pointait le caractère déterminant de la densité des élevages dans ces flambées épidémiques. Dès lors, des mesures fortes, comme la limitation du nombre d’animaux par mètre carré et par exploitation, ainsi que la limitation du transport d’animaux vivants (qui concerne particulièrement les animaux gavés) doivent être considérées » [4]. De même, un article de la revue National Geographic souligne : « Si la Terre compte 7 à 8 milliards d’humains, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) recensait en 2019 quelque 25,9 milliards de poulets, 2,6 milliards de canards et d’oies, 1,5 milliard de bovins et 850 millions de cochons. [...] Or les épizooties (épidémies frappant les populations animales) se sont multipliées dans le sillage de l’intensification et de l’industrialisation de l’élevage » [5]. Des chercheurs du CIRAD disent la même chose [6]. De même, on se rappelle que la grippe H5N1, qui avait commencé chez les poulets dans des élevages mixtes poulets/porc, a tué des humains, comme le rappelait Frédéric Keck, du Collège de France, en 2013 [7].
Une des réponses aux grippes et aux pandémies serait donc de réduire drastiquement la population des méga-usines à poulets… Surtout si elles sont mélangées avec des usines à porcs. Au lieu de cela, d’autres solutions techniciennes sont proposées, comme de vacciner les volailles ou de les modifier génétiquement. Ainsi, des recherches menées conjointement par le Roslin Institute, l’Imperial College de Londres et le Pirbright Institute visent à utiliser des nouvelles techniques de modification génétique pour supprimer, chez les poulets, une séquence d’ADN responsable de la production d’une molécule (ANP32A) que les virus de la grippe utilisent pour se répliquer [8] [9]. Cette étude a été, elle aussi, financée par des fonds publics, via le Biotechnology and Biological Sciences Research Council, mais aussi par des fonds de l’entreprise avicole Cobb-Vantress.
Des animaux adaptés
Le troisième exemple où une modification génétique est au service de l’agro-industrie est un projet de modification génétique des carpes (cyprinidés) par une équipe chinoise [10]. Ces chercheurs notent que « l’élimination des os intermusculaires (IMBs) est vitale pour l’industrie de l’aquaculture des cyprinidés ». Traduisons : les arêtes intermusculaires de ces poissons sont un désagrément pour la production d’aliment, comme les boulettes de poisson, car ils faut les retirer au cours du processus de transformation. Or, précisent les chercheurs, « les cyprinidés sont les espèces aquacoles les plus importantes en Chine, avec une production annuelle d’environ 27 millions de tonnes, occupant environ 76% de la production aquacole totale de poissons d’eau douce ». Concrètement, cette famille forme la plus grande famille de poissons d’eau douce, et regroupe notamment les carpes, les goujons et associés, ainsi que les poissons rouges. Les chercheurs ont utilisé le complexe moléculaire Crispr/Cas9 pour bloquer et inactiver une séquence génétique responsable de cette fameuse arête intermusculaire chez le Carassin doré (Carassius auratus ou poison rouge). Les chercheurs affirment que cette nouvelle souche se porte à merveille, qu’elle est en tout point similaire à la souche sauvage en termes de croissance, etc. Mieux encore, ils soulignent dans leur article que cette souche génétiquement modifiée pourrait avoir « un rôle bénéfique dans la lutte contre le vieillissement, l’antioxydation et les dommages causés par les radiations ». Non seulement cette carpe génétiquement modifiée n’a plus d’arêtes gênantes pour l’industrie mais en plus elle aurait des vertus pour la santé humaine… Les chercheurs survendent-ils leur travail ?
Des projets de modifications génétiques de cet acabit naissent (et meurent) par centaines. Ils réussissent à mobiliser des fonds importants en jouant sur l’économie de la promesse. Cependant, s’attaquer à tous les symptômes et les inconvénients du système agro-alimentaire est sans fin. Une remise en cause du paradigme dominant ne permettrait-elle pas d’obtenir des résultats plus probants sur toutes ces problématiques ?