En 2008, le monde « développé » a soudainement réalisé que la souffrance de l’agriculture africaine face au dumping [1] et à l’absence d’investissements publics dans ces pays étouffés par la dette pouvait avoir des conséquences directes sur le reste du monde, en l’occurrence une crise sans précédent des prix alimentaires. La solution trouvée par les membres du G8 (voir carte ci-dessous) afin d’augmenter la production alimentaire de ce continent prit tout d’abord la forme d’engagements chiffrés des membres à investir dans le secteur agricole en Afrique (L’Aquila food Security Initiative). Ces promesses n’étant pas tenues, le G8 décida de les remplacer en 2012 par un partenariat public-privé, « la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition ». Ce partenariat entre gouvernements, entreprises internationales et locales et d’autres partenaires a pour objectif affiché « d’améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition en aidant quelque 50 millions de personnes en Afrique subsaharienne à sortir de la pauvreté d’ici 2022 ».
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Une nouvelle « révolution verte » pour l’Afrique ?
L’idée derrière la Nouvelle alliance est d’intéresser suffisamment le secteur privé dans le développement agricole en Afrique pour les convaincre d’apporter les fonds nécessaires. Mais ce programme aux objectifs louables a en réalité servi de cheval de Troie pour l’industrie agro-chimique et favorisé l’accaparement privé des ressources des pays visés.
La « révolution verte » asiatique est l’un des modèles explicitement cité par la Nouvelle alliance : améliorer les rendements en mécanisant et en augmentant drastiquement la quantité d’intrants utilisés. Sans même parler des conséquences environnementales et humaines que cette mutation agricole a eues en Asie, c’est oublier que la « révolution verte » était financée et pilotée par les autorités publiques, avec pour objectif de produire assez pour nourrir les populations locales et d’utiliser dans l’industrie en plein boom la main d’œuvre « dégagée » par la mécanisation.
Avec la Nouvelle alliance, c’est une agriculture d’exportation qui se développe : l’un des objectifs principaux des gouvernements des pays d’Afrique est en effet de produire des liquidités afin de pouvoir rembourser la dette. La majeure partie des productions, alimentaires ou non, encouragées par la Nouvelle alliance sont donc avant tout destinées aux marchés européens et américains. La production destinée aux marchés locaux est quant à elle toujours en déshérence, et en concurrence avec les produits importés à bas coûts venant d’Europe ou d’Asie.
Contrairement à la « révolution verte », ce sont des investisseurs privés étrangers qui mènent la danse dans ce programme. Leur objectif n’est pas philanthropique mais vise à augmenter leurs propres profits, qu’ils soient en ligne ou non avec les intérêts des pays visés ou de leur population.
Parmi les principaux investisseurs de la Nouvelle alliance (qui varient fortement d’un pays à l’autre cependant), on retrouve Syngenta, grand défenseur du brevetage des semences, et Yara, une multinationale spécialisée dans les engrais (qui a financé notamment les « agricultural growth corridors », la transformation de zones précédemment « sous utilisées » en zone de production intensive industrielle). La Bill & Melinda Gates Foundation, connue pour son lobbying très actif en faveur des OGM, est également très présente.
Attirer les investisseurs et tuer les semences paysannes
Pour attirer les capitaux, l’un des objectifs du programme est de rendre les pays concernés accueillants pour les investisseurs. Les différents pays participants sont encouragés à prévoir des exemptions fiscales, une « clarification » des droits de propriété et une modification de leur réglementation sur les semences.
Cette trilogie de mesures a contribué à dégrader encore la situation des paysans africains et leur capacité à nourrir les populations locales. Les exemptions fiscales ont privé les États de revenus qui auraient pu être employés pour le développement rural, notamment pour la construction d’infrastructures. Quant à la « clarification » des droits de propriété, elle a mené à la marchandisation des terres agricoles, dont une quantité non négligeable louée via des baux prolongés, voire rachetée par des investisseurs étrangers.
Enfin, la Nouvelle Alliance pousse les pays d’Afrique à signer la convention internationale de l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales (Upov) de 1991 et à traduire ses principes dans le droit national. L’Upov vise à mettre en place une protection intellectuelle distincte du brevet pour les variétés de semences afin de favoriser l’émergence d’un marché commercial. En théorie, cette protection est censée promouvoir l’innovation et permettre de diffuser des semences « plus efficaces ». Outre que les paysans n’ont pas attendu la marchandisation des semences pour innover (2,1 millions de variétés ont été sélectionnées par les paysans contre 103 261 par l’industrie semencière [2]), la mise en place des certificats d’obtention végétale se traduit par l’impossibilité de re-semer sa production, sauf à payer une redevance.
Or, l’agriculture africaine repose massivement sur l’utilisation de semences paysannes. La privatisation des semences prônée par la Nouvelle alliance risque donc de la déstabiliser fortement, d’autant qu’aucune protection des semences paysannes ne semble prévue dans les différents programme des pays signataires.
Bien que non explicitement cités dans le programme de la Nouvelle alliance, les OGM font bien entendu également partie du deal. Syngenta et la Bill & Melinda Gates fondation (ainsi que d’autres acteurs) ont ainsi poussé à l’adoption de cadres légaux favorables aux OGM via les grandes régions économiques africaines (REC).
Les organisations paysannes ouest-africaines ont dénoncé ces évolutions du droit des semences à plusieurs reprises, et notamment à l’issue d’une réunion du Comité Ouest-Africain des Semences Paysannes (COASP) à Djimini en 2014 [3].
Le G8 prend ses distances... et laisse le champ libre aux investisseurs
Toutes ses dérives ont été décrites et analysées dans un rapport d’Olivier de Schutter [4] commissionné par le Parlement européen en 2015, qui a servi de base à une résolution publiée par cette institution en juin 2016 [5]. Cette résolution portée par l’agricultrice et eurodéputée verte allemande Maria Heubuch a provoqué des réactions violentes de la part de l’agro-industrie, Monsanto accusant même le Parlement européen de néo-colonialisme dans un communiqué de presse.
Cela provoqua une prise de distance des autorités européennes et du G8 avec la gestion du programme, laissée entièrement à l’Union Africaine... et aux investisseurs. Cela n’a, sans surprise, rien amélioré.
Un réinvestissement de l’Union européenne n’est pourtant pas souhaitable. En effet, c’est dans le modèle même d’une aide au développement basée sur des partenariats publics-privés que se situe le problème. Modèle qui, malheureusement, ne semble pas près d’être abandonné, puisque le European Fund for Sustainable Development lancé récemment par la Commission européenne à destination des pays fournissant le plus de migrants, et qui possède un volet agricole, est lui aussi basé sur ce type de gouvernance.