Si aucun micro-organisme génétiquement modifié (MGM) n’est référencé dans l’Union européenne pour une utilisation directe dans un produit alimentaire, ce n’est pas le cas de ces molécules chimiques qui peuvent être produites par des micro-organismes. Ces derniers, s’ils ne produisent pas naturellement telle ou telle molécule, ou juste dans des quantités insuffisantes industriellement, peuvent être, dans ce but, génétiquement modifiés.
Les molécules produites et leurs utilisations
Des enzymes utilisées pour faciliter la libération d’arômes, rendre des matières premières, comme des céréales, plus digestibles, leur donner plus de goût ou faciliter leur manipulation, des vitamines pour augmenter la valeur nutritionnelle de préparation alimentaire ou encore des additifs utilisés comme antioxydant... Ces molécules sont aujourd’hui produites, pour certaines, par réaction chimique, pour d’autres par extraction de plantes, mais, pour beaucoup, par des micro-organismes cultivés dans des fermenteurs. En date du 4 avril 2022, selon le site Internet de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), qui y renseigne les dossiers déposés [2], 536 demandes d’autorisation pour de telles molécules sont listées. Sur ces 536 dossiers, 445 concernent des enzymes, 56 des vitamines et 35 des additifs.
Les enzymes sont, de loin, les molécules les plus produites par micro-organismes GM. 445 demandes d’autorisation sont listées sur le site de l’AESA pour un total de 122 enzymes. Et près de la moitié de ces 445 demandes concernent des enzymes produites par des MGM comme l’amylase, la cellulase, la chitinase, la phospholipase A1 ou la chymosine. Enzymes qui peuvent même, pour les trois dernières, être exclusivement produites par des micro-organismes génétiquement modifiés (MGM).
Pour les quatorze vitamines listées par l’AESA, toutes sont produites par des micro-organismes non GM. Mais deux (les vitamines B2 et B12) peuvent également être produites par des MGM. Enfin, pour ce qui est des additifs, deux sont ouvertement déclarés comme produits par des MGM. Il en est ainsi de steviol glycosides (E 960) utilisés comme agent sucrant pouvant être produits par extraction de feuilles de Stevia ou par des levures GM comme Saccharomyces cerevisiae. C’est également le cas d’un autre additif appelé leghemoglobine. Cet additif est une molécule de soja destinée à être utilisée comme agent colorant dans des « produits analogues à de la viande », le fameux « impossible burger » [3]. Elle fait l’objet d’une demande d’autorisation dans le cadre d’une production par la levure Pichia pastoris génétiquement modifiée.
Les micro-organismes utilisés peuvent être des champignons avec Aspergillus niger et Aspergillus oryzae en tête des modifiés génétiquement, mais également Trichoderma reesei ou Pichia pastoris. Ils peut également s’agir de bactéries avec plusieurs Bacillus licheniformis, Bacillus subtilis, Eschericchia coli K12...
Les entreprises qui occupent le marché
Les acteurs industriels occupant le marché des produits obtenus par des micro-organismes GM ne sont pas les mêmes que les entreprises du végétal. Sur ce dossier, on retrouve en nombre d’autorisations demandées des entreprises comme AB Enzymes, Danisco US Inc, DSM Food Specialties B.V. ou encore Novozymes. D’autres entreprises sont également présentes mais pour moins d’autorisations comme Fertinagro, Kerry ingredients, Nagase ou Puratos.
Deux entreprises connues du végétal sont présentes dans les micro-organismes. Il s’agit de BASF et Syngenta, mais avec peu de demandes d’autorisations déposées. Syngenta a déposé une seule demande, en 2006, alors que BASF a quatre demandes en cours.
Comment passer sous les radars ?
Près de la moitié des demandes d’autorisation déposées dans l’UE implique donc un micro-organisme GM. D’autres demandes sont peut-être dans le même cas mais la nature OGM du micro-organisme peut ne pas être indiquée. À cela, une raison simple : jusqu’en 2018, parler d’OGM revenait à parler d’organismes transgéniques. Suite à l’action d’organisations de la société civile française, la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé cette année-là que les organismes modifiés par mutagénèse sont également des OGM [4]. Une seule règle prévaut pour savoir si un produit peut être exempté des règles d’étiquetage : établir si la technique utilisée a un historique d’utilisation sans risque. Mais les pratiques de la Commission européenne, institution en charge de la bonne mise en œuvre de la législation, ont montré que cette dernière n’avait jamais requis d’autorisation en tant qu’OGM pour des végétaux modifiés par mutagénèse et qui auraient donc dû obtenir une telle autorisation. Il en est ainsi du colza par exemple [5]. Une telle absence de mise en œuvre de la législation peut tout à fait avoir eu cours pour les molécules produites par des MGM et cette information, à ce jour, n’est pas connue.
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Comme tout OGM, les MGM et les produits obtenus à partir de ces MGM doivent être évalués, autorisés (quel que soit leur usage) et étiquetés (s’ils sont destinés à l’alimentation humaine ou animale). Mais, en 2004, pour des raisons essentiellement commerciales, les États membres de l’Union européenne ont décidé que les molécules produites par des MGM ne seraient plus soumises à l’obligation d’étiquetage. Pour ce faire, ils ont estimé que les molécules produites par des MGM « doivent être considérées comme produites à l’aide de MGM plutôt qu’à partir de MGM ». Une subtile différence d’interprétation, validée par la Commission européenne en 2006, mais lourde de conséquences [6]. À présent, des additifs alimentaires, tels que des vitamines ou des arômes par exemple, produits par des bactéries ou levures génétiquement modifiées, peuvent être ajoutés à des produits alimentaires commercialisés sans être étiquetés, au grand dam du consommateur...