En vertu d’un décret présidentiel de 2020, le Mexique prévoyait d’interdire progressivement la culture et les importations de maïs génétiquement modifié au 31 janvier 2024 [1]. Les États-Unis, qui sont le principal fournisseur de maïs du Mexique, maïs pour l’essentiel génétiquement modifié, multiplient depuis les rencontres diplomatiques avec leur voisin du Sud pour l’amener à revenir sur sa décision [2].
Les tensions montent
Récemment, les tensions sont montées d’un cran : les États-Unis ont assorti la menace de déposer une plainte dans le cadre de l’accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) d’un ultimatum. Doug McKalip [3], le négociateur agricole en chef pour le ministère du Commerce des États-Unis, avait donné jusqu’au 14 février au gouvernement mexicain pour qu’il fournisse des preuves scientifiques pour justifier ses décisions d’interdictions [4].
La pression diplomatique semble avoir porté ses fruits. Le 13 février 2023, soit un jour avant l’expiration de l’ultimatum, un nouveau décret présidentiel a été publié, remplaçant celui de 2020 et assouplissant le moratoire [5].
Un nouveau décret…
Comme celui de 2020, le nouveau décret interdit, sans poser de délai, les importations de maïs blanc génétiquement modifié destiné à l’alimentation humaine. Le principal changement porte sur les importations de maïs jaune génétiquement modifié destiné à l’alimentation animale et à l’utilisation industrielle. Pour ce maïs, le nouveau décret supprime la date de transition qui était fixée dans le décret de 2020 : l’interdiction des importations est certes posée, mais le nouveau décret ne fixe pas de date à laquelle cette interdiction devra être effective.
Le décret indique toutefois clairement que le Mexique a l’intention d’interdire tout maïs génétiquement modifié. Les autorités mexicaines sont chargées de mettre en œuvre des alternatives pour réaliser la « substitution progressive » du maïs destiné à l’alimentation animale et à l’utilisation industrielle. Mais, jusqu’à ce que cette substitution soit réalisée, des autorisations d’importations pour ce maïs génétiquement modifié pourront donc être accordées. Une manière de gagner du temps et aussi de reconnaître que le pays, qui n’est pas autosuffisant en matière de production de maïs jaune pour l’alimentation animale, ne parviendra pas à atteindre l’objectif de l’autosuffisance au 31 janvier 2024.
… pour gagner du temps ?
Mais la publication de ce nouveau décret est destinée avant tout à calmer les tensions diplomatiques avec les États-Unis, et la date de publication montre bien qu’il s’agit pour le Mexique de gagner du temps dans les pourparlers. Il n’est toutefois pas certain que supprimer la date d’entrée en vigueur de l’interdiction d’importation du maïs génétiquement modifié pour l’alimentation animale suffise à convaincre les États-Unis.
En effet, le ministre de l’Agriculture, Tom Vilsack, a déclaré à Agri-Pulse qu’ « après un premier examen, l’USDA [NDRL : le ministère de l’Agriculture] est déçu par le nouveau décret du Mexique ». Il a ajouté que « (l)es États-Unis croient et adhèrent à un système commercial fondé sur la science et les règles et restent déterminés à prévenir les perturbations du commerce agricole bilatéral et les préjudices économiques pour les producteurs américains et mexicains ». Ses services sont en train d’examiner en détail le nouveau décret et vont travailler avec le ministère du Commerce « pour garantir que notre engagement fondé sur la science et les règles reste ferme » [6]. Du côté du ministère du Commerce, auquel il appartient de décider de continuer à négocier ou de déposer une plainte dans le cadre de l’ACEUM, Doug McKalip a lui aussi déclaré à Agri-Pulse que le décret est en cours d’examen par ses services [7].
A la fin de l’année 2022, le Mexique avait déjà proposé une modification de son décret de 2020. Cette proposition, non publiée, avait été jugée insuffisante par les autorités étasuniennes. Dans un communiqué officiel, elles avaient déclaré que les « changements ne sont pas suffisants et l’approche proposée par le Mexique, qui n’est pas fondée sur la science, menace toujours de perturber des milliards de dollars dans le commerce agricole bilatéral, de causer un préjudice économique grave aux agriculteurs américains et aux éleveurs mexicains, et d’étouffer les innovations importantes nécessaires pour aider les producteurs à répondre aux défis pressants en matière de climat et de sécurité alimentaire » [8].
Or, la portée du décret modifié proposé fin 2022 serait, selon le site spécialisé Agri-Pulse, similaire à celle du décret publié le 13 février 2023 [9]. Il ressort clairement des diverses déclarations officielles des responsables étasuniens que, selon eux, tout texte visant à interdire le maïs génétiquement modifié constitue une violation de l’ACEUM.
Les producteurs étasuniens de maïs non-OGM peuvent satisfaire les besoins du Mexique
Selon certains producteurs de semences de maïs non-OGM étasuniens, il serait tout à fait possible de répondre à la demande de maïs non-OGM du Mexique si des mesures incitatives étaient mises en place pour que les agriculteurs cultivent du maïs non génétiquement modifié [10]. Certains producteurs estiment même qu’il s’agit d’une opportunité à saisir pour les agriculteurs étasuniens. Dans une lettre au ministre de l’Agriculture Tom Vilsack, le président de l’association Farm Action, Joe Maxwell, critique le manque d’anticipation de l’État fédéral : « si le ministère de l’Agriculture avait commencé à mettre en place un soutien et une infrastructure à ce moment là [NDLR : en 2020, date du premier décret mexicain.], nous serions dans une position tout à fait différente aujourd’hui – une position dans laquelle les agriculteurs étasuniens auraient un accès croissant à un marché plus compétitif et plus résilient » [11]. « Le décret du Mexique était une opportunité pour plus d’agriculteurs de faire la transition vers le maïs non-OGM et d’entrer dans ce marché de première qualité », ajoute-t-il. Mais les États-Unis risquent bien de passer à côté, craint Joe Maxwell.