Le concept d’équivalence en substance
Le concept d’équivalence en substance a été décrit pour la première fois dans une publication de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 1993 [2]. L’équivalence en substance implique, dans le dossier des PGM, d’évaluer les risques liés à une PGM en la comparant à sa contrepartie non GM. D’une manière très basique, on peut le résumer en disant que les caractères généraux (phénotypes) et la composition moléculaire d’une plante transgénique vont être comparés à ceux de la même plante mais non transgénique. Si, à l’exception du caractère induit par le transgène, aucune différence n’est observée, alors les deux plantes sont équivalentes en substance. Si des différences apparaissent, elles ne sont pas “équivalentes”.
Le concept défini, son application n’est pas évidente car il manque des conditions pour pouvoir être utilisé dans le cadre d’évaluation d’aliments par exemple. L’OCDE précise donc que l’utilisation commerciale de la plante non transgénique, à laquelle est comparée la PGM, doit avoir démontré son innocuité, selon une réelle expérience de consommation ou d’utilisation. Mais, souligne l’OCDE, : “lorsque l’équivalence en substance est plus difficile à établir car l’aliment ou le constituant alimentaire est [...] totalement nouveau, [...] les nouvelles caractéristiques doivent alors constituer la base d’études ultérieures”.
Ainsi, dans le cas de l’évaluation des PGM, il faut donc ajouter à cette comparaison, une description du transgène, de la protéine transgénique et d’autres facteurs jugés pertinents. Chaque pays reste libre de choisir les études requises pour ces données. Par exemple, l’UE, contrairement aux Etats-Unis, exige des analyses de la PGM entière.
Le concept d’équivalence en substance fut approuvé par une consultation mixte d’experts de la FAO et de l’OMS en 1996. Notons tout de suite que celle-ci reconnaissait également que l’établissement d’une équivalence en substance ne constituait, et ne constitue toujours pas, une évaluation de la sécurité en elle-même. Mais cela revient à poser comme principe que si un produit transgénique dispose des mêmes caractéristiques et de la même composition que le même produit non transgénique et que ce dernier n’a jamais posé de problèmes, le produit transgénique ne devrait pas en poser.
La procédure européenne actuelle
L’Union européenne a fait le choix du principe de précaution (cf encadré ci-dessus), comme principe juridique directeur de ses procédures d’autorisation pour évaluer les PGM. C’est au nom du principe de précaution que les PGM sont évaluées avant autorisation mais surtout, que leur commercialisation est l’objet d’une surveillance. D’où les principes de biovigilance, avec les plans de surveillance demandés et en théorie évalués, et la traçabilité exigée des PGM ou de leurs produits dérivés.
Pour l’évaluation des risques liés aux PGM avant autorisation, le concept d’équivalence en substance est utilisé mais l’UE a, jusqu’à aujourd’hui, fait le choix d’aller plus loin dans les analyses demandées. Ainsi, un dossier de demande d’autorisation contient divers éléments caractérisant l’organisme donneur et l’organisme receveur du gène d’intérêt, la modification génétique et ses conséquences fonctionnelles, la toxicité potentielle et l’allergénicité du produit du gène d’intérêt... mais également des études de toxicité et d’alimentarité de la plante entière. Ces dernières études ne sont pas demandées aux Etats-Unis où l’application du concept d’équivalence en substance est plus limitée qu’en Europe [3].
Mais ces exigences européennes ne s’appliquent pas à toutes les PGM. Les PGM croisées entre elles (dites hybrides), contenant plusieurs événements transgéniques, sont des exemples d’une application au sens strict du concept d’équivalence en substance en Europe. Démonstration : le maïs GM 1507*NK603 est une PGM combinée, issue du croisement de deux PGM et contient a minima deux événements transgéniques. Dans son opinion concluant à l’absence de risques liés à ce maïs [4], l’EFSA écrit que, d’une manière générale, “le document directif du panel OGM de l’EFSA a établi que lorsque les événements ont été combinés par croisement de lignées transgéniques existantes, le besoin d’analyses moléculaires supplémentaires est évalué au cas par cas, selon la nature des modifications génétiques impliquées”. Dans le cas de ce maïs, sur les données toxicologiques, l’EFSA écrit : “Aucun gène supplémentaire en plus de ceux existants dans les lignées parentales n’a été introduit dans le maïs 1507*NK603. La caractérisation moléculaire du 1507*NK603 n’a révélé aucun changement inattendu. Aucune interaction entre les protéines nouvellement exprimées n’a été identifiée ainsi qu’aucun risque d’allergénicité modifié. De plus, aucune différence marquante de composition entre le maïs 1507*NK603 et les comparateurs non transgéniques appropriés n’a été établie. En conséquence, le panel OGM accepte les arguments du pétitionnaire indiquant qu’une étude de toxicité sur les rats avec des graines de maïs 1507*NK603 n’est pas nécessaire pour conclure que le maïs 1507*NK603 est aussi sûr pour la santé humaine et animale que le maïs conventionnel”.
Autre exemple : l’évaluation du maïs Mon863*Mon810 *NK603 [5] destiné à l’alimentation humaine et animale, l’importation et la transformation a été conduite selon les mêmes règles. Dans les deux cas, aucune analyse de toxicologie ou d’impacts sur l’environnement n’est expressément demandée, conséquence de l’application stricto sensu du concept d’équivalence en substance. Remarquons que dans ces cas d’hybrides de PGM, la comparaison ne se fait pas entre la PGM et son homologue non GM, mais bien entre la nouvelle plante GM hybride, comparée à ses homologues déjà GM dont l’historique d’utilisation sans risque reste à démontrer.
Demain, quelle évaluation des PGM dans l’UE ?
En juin 2006, Marc Fellous, alors président de la Commission du Génie Biomoléculaire (CGB, France), déclarait au cours de la conférence de presse annuelle de la CGB : “les bruits de couloir font état d’un futur changement de la politique européenne sur l’évaluation des dossiers de demande d’autorisation. Il semble que la future politique se base sur le concept d’équivalence en substance. En gros, des analyses par spectroscopie de masse pour montrer cette équivalence devront être faites. Si des différences sont observées, alors des analyses toxicologiques seront demandées. Si aucune différence, seul un conditionnement de l’autorisation à un plan de vigilance sera demandé. Il serait nécessaire d’avoir des études épidémiologiques mais cela est très difficile à mettre en place”. En effet, malgré les remises en question du principe d’équivalence en substance (cf. encadré page 5), l’EFSA vient de publier un article, fruit de discussions internes et d’une consultation du public sur l’évaluation de la sécurité et de la valeur nutritionnelle des aliments GM [6]. Une des recommandations de l’EFSA est que “dans le cas où les analyses moléculaires, de composition, phénotypiques, agronomiques ou d’autres analyses ont démontré l’équivalence entre des aliments (pour l’homme ou les animaux) dérivés de plantes transgéniques et leur contrepartie conventionnelle, à l’exception du caractère inséré, et que les résultats de ces analyses n’indiquent pas d’existence d’effets inattendus, la conduite d’expérience d’alimentation sur animaux avec des rongeurs ou une espèce animale cible ajoute peu, voire pas d’information à l’évaluation sanitaire globale, et n’est donc pas recommandée”. Ce raisonnement reprend presque mot à mot le concept d’équivalence en substance.
Pour conclure, précisons que l’OCDE a formulé d’autres critiques de l’équivalence en substance qui rejoignent celles du Commissaire à l’Environnement, Stavros Dimas [7], à l’encontre du système d’évaluation européen. Selon l’OCDE, “il est encore impossible de se prononcer sur les effets potentiels à long terme des aliments transgéniques sur la santé humaine et sur la sécurité du travail (par suite d’une exposition au cours de leur fabrication) [...]. Les tests de toxicité et d’allergénicité pratiqués aujourd’hui soulèvent encore des interrogations et doivent donc être améliorés [...]. On ne sait toujours pas quelles devraient être les modalités d’évaluation de l’innocuité de tels produits en particulier si elles doivent s’apparenter davantage à celles qui sont applicables aux produits pharmaceutiques ou à celles qui ont été fixées pour les nouveaux aliments” [8]. Malgré ces “doutes sérieux”, l’EFSA, pièce maîtresse du dispositif décisionnaire de l’UE sur les PGM, semble donc vouloir revenir à une utilisation stricto sensu du concept d’équivalence en substance. Au regard de la place prépondérante de l’EFSA au sein du dispositif décisionnaire de l’UE sur les PGM, il faut donc écouter avec prudence le ministre de l’Environnement français, Jean-Louis Borloo, lorsqu’il appelle de ses vœux, une réflexion sur le système européen d’évaluation des PGM au cours de la Présidence française de l’UE [9].